Le beau, ce n’est pas rien.

Monastère de Martigné-Briand, 21 heures.

La journée s’achève ici avec les Complies. Tout est silence.        

Dieu, garde-moi, car j’ai fait de toi mon refuge.
Je dis au Seigneur: “C’est toi le Seigneur !
Je n’ai pas de plus grand bonheur que Toi !    

 

Ici, le beau a envahi chaque recoin de l’espace et du cœur. Mais il ne faut pas s’y tromper.
Ici, le beau ne rend pas aveugle.
Le monde est là, dans chaque ligne de ma Bible, dans chaque mot partagé, dans chaque sentier qui regarde le printemps recommencer.

On pourrait croire le refuge des Bénédictines facile, coupé des soucis de nos quotidiens, loin des actualités guerrières.
Il n’en est rien.
Il y a la paix pourtant.
Celle des silences, celle des prières, celle des mots que l’on garde.
Ici, le beau met les cœurs à vif pour prier Dieu.

                                          J’ai ouvert ma fenêtre au matin sur des bras de ciel. J’ai touché le soleil sur le banc de pierre. J’ai croisé les deux ânes, les moutons et les jonquilles qui s’affolent. J’ai fermé les yeux quand elles chantaient pour que leurs voix restent en moi. J’ai lu et relu Jonas. Je sais que Dieu nous aime plus que jamais je n’oserais l’imaginer. Même quand la tempête fait rage, même quand les larmes sont de sang, même quand la vie semble perdue.

Le beau de Dieu, ce n’est pas rien.

 

Des routes qui sont belles

Il y a des routes qui sont belles parce que je sais où elles me mènent.

Celles vers ceux que j’aime, celles vers l’océan et celle-ci.
C’est une toute petite route de campagne, très sinueuse, qui quitte les champs pour  suivre les vignes. Les villages traversés semblent d’un autre temps et certains noms laissent imaginer le sucré de leur vin. La pluie a cessé. Un arc-en-ciel me fait un joli clin Dieu. Je dépasse Saint-Aubin-sur-Layon. J’y suis presque.
Le monastère de Martigné-Briand a laissé son grand portail blanc ouvert.
Je sais les murs ocre, l’immense platane plus que centenaire, et le beau silence.
Ce soir, je retrouve la paix.
M’emplir de paix pour la donner au monde.

Il y a des routes qui sont belles parce que je sais où elles me mènent.

Celle-ci, elle me pousse jusqu’à Toi. Comme celle qui me guide vers ton océan. Chaque fois que je prends la route vers le monastère ou vers la Bretagne, j’ai le même sentiment : c’est comme si j’allais chez Dieu plutôt qu’Il ne vienne chez moi. C’est toujours étrange.
Et puis, parfois comme aujourd’hui, il y a ce sentiment mêlé d’un peu de tristesse de quitter seule la maison et la famille le temps d’un week-end et, en même temps, la joie de retrouver les Sœurs, leurs prières et la chaleur de leur chapelle. Et finalement la joie d’être seule aussi.

Il est un peu tard.
Il n’y a plus un bruit.
Ce soir, c’est mon petit ordinateur qui ronronne le temps d’un billet.
J’ai peu de temps parce qu’ici le temps est ailleurs. Et peu de mots finalement pour dire le beau de mon refuge.

Et je me dis que mes routes sont belles non pas parce qu’elles le sont mais seulement parce que Dieu, têtu et fidèle, se retrouve toujours au bord de mon chemin.

Beau comme un cadeau

Parfois je crois que le beau se trouve dans la joie. Une joie toute simple, presque tranquille, qui remplit le cœur sans déborder.

J’ai recompté les années avant de vous écrire ce billet.
29 ans.
Oui, cela fait 29 ans que j’enseigne dans le même petit collège – encore lui.
Si je compte les années, ce n’est pas pour vous redire que j’y suis bien, non. Ça, je crois que vous le savez déjà. Si je compte les années, c’est parce que l’an prochain, pour mon trentième anniversaire, je devrais recevoir un joli cadeau. 😉

Voilà, je vous explique.
Mon petit collège est catholique. En dehors de nos cours, avec deux amies et plein d’autres bonnes volontés, on y propose du caté, des temps de pastorale, des séjours en monastère, des crèches et des jardins de Pâques, des chemins de Carême et des chemins de randonnées, des partages de Bible et des mots en partage. Bref. Plein de trucs pour que Dieu devienne un compagnon de route. Il n’y a pas toujours foule au portillon mais on s’en fiche un peu. Les élèves savent aussi pourquoi ils peuvent nous trouver dans ces endroits-là.

Mais quels endroits ? Dehors, sous le grand chêne quand il fait beau. Dans une salle de classe… ah non pas celle-là elle est déjà prise, une autre alors peu importe et non ici, ah…plutôt là…
On trimbale nos caisses de crayons, de prières et d’un peu de lumière.
On râle parce qu’on ne sait pas où ranger tout notre bazar – le mien souvent.

Peut-être que vous l’avez compris mais ça fait 29 ans que je bosse dans un collège catholique.
Sans aumônerie.
Rien.
Pas le moindre petit espace dédié à Dieu.
J’exagère un peu parce que Dieu, dans ce petit collège, je le croise partout. Il est bien là quand même.
Mais bon, pas d’aumônerie dans ce collège catho.

Pardon, l’explication a été un peu longue et je ne vous ai pas révélé le cadeau de mes 30 ans.
Si, si, si.

Une aumônerie.

LA. JOIE.

Le collège va transformer une vieille maison qui donne sur sa cour en plusieurs salles. Dont une au-mô-ne-rie. Je me le répète depuis plusieurs semaines pour savourer le mot et tout ce qui va avec.

 

Et ce midi, j’ai ouvert sa porte pour la première fois. Il y a quelques travaux qui vont être entrepris mais la pièce est jolie. Lumineuse. Pas trop grande mais assez. Claire. Avec une grande cheminée.
Ce midi, on s’est plantés au milieu de la pièce avec mes deux amies-collègues-de-pasto et vous auriez dû nous voir. Là, on pourra faire des étagères, là, le coin-prière, là… si on faisait une petite commission”aumônerie” pour laisser leurs idées transformer le lieu ?

Ce midi, vous auriez dû voir nos sourires. Et ma joie.
C’était beau.

 

Le beau en liste minuscule

Depuis une semaine déjà, je surveille, je cherche, je traque presque, j’épie le beau.

Depuis une semaine déjà, j’aime bien ce chemin-là.
Il ne me fait rien oublier des gris de notre monde.
Il m’aide à espérer, à partager, à prier.

Étrangement, au soir de cette première semaine, je n’ai pas vu de beau en grand, rien de flagrant, aucune évidence à l’œil nu.
Aurais-je assez cherché ?

Étonnamment, ce soir, je n’ai  fait qu’une toute petite liste de tout petits riens.

– La chapelle au matin, 7 heures tout juste, petite messe pour ce temps de Carême: la pénombre en entrant, la lumière du jour en sortant, remplie de Dieu pour commencer la journée. C’était beau.
– Le collège à la récré, ça n’arrête pas de frapper à la salle des profs ce matin,  c’est pour toi Corine,encore pour toi, toujours!… dernier jour d’inscription pour la soirée de pastorale des plus grands, ils se bousculent au portillon, faut dire que ça fait deux ans que c’est un peu mort les temps festifs. Et leurs sourires dans leurs yeux. C’était beau.
– La coiffeuse, fin de matinée, sa croix, en or sûrement, finement ciselée, celle de sa marraine décédée, qu’elle ose plus que jamais sur son joli chemisier fleuri comme un printemps qui commence. Je l’ai regardée dans le miroir en racontant des bribes du monde. C’était beau.
– L’annonce d’un nouveau mariage dans la famille toute proche comme l’inattendu d’une vraie surprise. C’était beau.
– Le travail avec une nouvelle collègue qui habite à deux pas de la maison – sans la connaître- et les atomes crochus, chaque heure un peu plus, qui ressemblent à un début d’amitié. C’était beau.
– Les premières gariguettes venues de Plougastel, juste passées dans une larmichette de beurre salée, posées dans la galette de blé noir, simplement. C’était beau.
Et bon. 😉
– Une réunion de préparation d’un nouveau chemin de Première communion avec les amis de la paroisse. Il faut que je vous laisse. Ce sera sûrement beau.

 

Depuis une semaine déjà, je surveille, je cherche, je traque presque, j’épie le beau.
Ce soir, il s’ajoute à ma vie en petite liste, minuscule.

 

Belle Parole

Peut-être bien que ce petit instant attrapé chaque jour au début du matin, peut-être que ce petit instant est beau.

Il y a d’abord mon réveil qui n’a presque jamais besoin d’une mécanique musicale pour ouvrir les yeux et il est toujours la bonne heure pour me lever.
Il y a la vieille laine de grand-mère posée sur mes épaules comme une embrassade avant de descendre les escaliers et le chat qui se frotte déjà à mes mollets pour lui ouvrir la porte vers le jardin.
Il y a le parfum du café qui redit le matin goutte après goutte et la chaleur de la tasse entre mes mains.

Et il y a ce petit instant.

Pendant que le pain grille, pendant que le couteau étale un peu de beurre sur la tartine, pendant que je déjeune doucement, elle est là, Elle est là.
Ma bible. Sa Parole.

Quand il n’y a rien d’autre à garder de mes journées, quand les heures au soir sont tristes ou fatiguées, je sais qu’il y a eu un matin et qu’il y aura au lendemain ce petit instant.

 

Il y a ce petit instant attrapé chaque jour. Les pages se tournent comme une caresse sur un papier plus doux qu’une peau. Les mots se lisent comme une parole qu’Il oserait me murmurer chaque matin.
Et ses mots, ce temps, le café, ce pain, les parfums de la maison, sa lumière qui se lève, c’est le beau que j’emporte avec moi. Pour Le garder, pour qu’Il me garde.

Peut-être bien que ce petit instant, dans ces matins où je voudrais le monde en paix, peut-être bien que ce petit instant, en ce Carême, est ma seule prière.
Belle Parole.

Prémices de printemps

Je ne sais pas pour vous mais moi, les prémices du printemps, ça me fait plein de bien.

Les matins sont encore bien froids et les gelées s’invitent toujours au réveil mais il y a des jours comme aujourd’hui où le soleil ne s’arrête pas d’être là. Flirtant avec la vitre de la voiture, jouant avec les faux-jours au tableau, caressant les mains qui taquinent des crayons.
Et qu’il fait du bien ce rayon sur la tasse de café qui se “pause”.
On oserait presque dire qu’il en faut peu pour que tout aille mieux. Mais on n’ose pas.
On attrape un peu d’éclat, un brin de chaleur. En silence.

 

Je ne sais pas pour vous mais moi, les prémices du printemps, ça me fait plein de bien

Les soirs s’étirent un peu plus, les heures s’allongent doucement et je suis rentrée à la maison en pleine lumière. J’ai laissé la voiture au dehors, je devais repartir deux heures plus tard.

On dirait qu’elle sait quand je ne rentre pas ma voiture au garage que j’ai un peu de temps, peut-être pour elle. Elle grattait quelques fleurs dans son jardin, presque à côté du mien, elle m’a fait un grand signe de la main.

 

La petite heure a passé.

Assise sur le muret de son jardin, je l’ai écoutée me raconter les primevères, j’aime bien les jaunes, on dirait qu’elle réchauffe le chemin quand on passe, et les bulbes de narcisses, tu sais que chaque année il y en a davantage qui ressortent, et les boutures de géraniums il faudra les laisser encore au chaud, je me fais attraper chaque année à les sortir trop tôt.

J’ai entendu ses inquiétudes sur le monde dans les silences posés sur ses mains lorsqu’elles s’arrêtaient de gratter la terre.

 

J’ai aimé quand je lui ai dit il faut que je te laisse maintenant et qu’elle a répondu merci de ce moment à goûter le soleil et rien d’autre.

Je ne sais pas pour vous mais chez moi, les prémices du printemps, ça ressemble à des p’tits riens qui font du bien. Et du beau.

Le b.a.ba du Beau

Pendant le Carême, il y a toujours quelque chose d’un peu étrange que j’aime bien.
Après les Cendres, je sais, seule, que je vais essayer de faire de la place à Dieu pour le rencontrer encore davantage. Seule, à peine. Il y a bien ma toute petite famille  qui est au courant du truc, mon caté un peu et les copains de ma paroisse bien sûr. Mais vous savez, c’est presque seule finalement parce qu’en dehors de ma maison, du caté et de ma petite église, mon Carême, tout le monde s’en fiche. Tant mieux. En vrai, c’est même pas que le monde autour de moi – mes voisins, la plupart de mes amis, mes collègues, plein de gens que j’aime bien – s’en fiche, c’est que simplement, ça ne fait pas partie de leur vie.

Et j’me trimbale avec mon cœur qui essaie de prier un peu plus, mon corps et ma tête qui essaient de chercher l’essentiel et tout ça qui essaie de partager, sans faire de bruit, sans rien dire tout autour. Oh… attends, je ne fais pas la fière qui suit Sa Parole à la lettre et ce n’est absolument pas parce que Jésus m’a demandé d’être discrète, non, non, c’est tout simplement parce que j’aurais bien peur de me prendre un revers de “ça ne rime à rien tes bondieuseries” que je me tais.
Voilà, pendant le Carême je ne dis rien et j’aime bien ça.

Et j’me trimbale tout près de tous ces gens que j’aime, à mille lieues de mes 40 jours, et c’est là, que je trouve un truc étrange. Très souvent, vraiment, ce sont eux qui font de la place à Dieu. Sans le savoir. Ça me fait sourire, j’aime tellement ses coups en douce qu’Il a de grossir les cœurs pour entrer au-dedans sans rien dire de Lui.

 

Voilà.
Ce midi, je me suis invitée à sa table de déjeuner. Mon Dieu, depuis toujours, lui est complètement étranger. Et puis, elle n’a jamais eu les mots pour me dire qu’elle m’aime.
Mais elle, malgré sa petite santé, elle s’est levée avant l’aube, a cuisiné, fait mijoter et même pâtissé de A à Z un truc gigantesque juste pour trois – j’en suis restée baba 😉 , un truc pas vraiment Carême, qui veut simplement dire je t’aime.

Merci à Toi de T’installer, tout doux, pour moi, dans son vieux cœur de maman.

Le beau, ça sent bon aussi

Il y a des jours où c’est plus facile.

Ce matin, je savais que je reviendrai encore un peu tard ici mais que ce serait sans doute plus facile. Facile de trouver du beau aujourd’hui. Je vais encore vous parler de mon petit collège, je vous promets de parler d’autres ailleurs.
Mais ce vendredi, c’était un vendredi tout rempli d’une matinée de classe, d’un temps de caté et d’un après-midi de préparatifs. Un vendredi tout rempli jusqu’à il y a quelques minutes encore. 22 heures et des poussières à nouveau, vous pourriez croire que cela manque de sérieux pour un vendredi soir.

Ce matin, je savais que je reviendrai avec du beau. Tout simplement, parce que mon collège, de 17 heures à 20 heures bien passées a ouvert ses portes aux futurs élèves de sixième. Cela aurait dû se passer un samedi matin de janvier mais le virus était là et nous en a empêchés. Alors, en équipe, on s’était dit si on essayait un vendredi soir. C’était ce soir.

Et il y avait plein de beau.

Mon collège, c’est comme une bulle d’air dans un petit village à la campagne. Ce soir, c’était une petite bulle qui s’était faite toute jolie tout l’après-midi pour accueillir l’avenir de leur 10 ans tout rond.

L’avenir.

On en a parlé, on y a pensé, on a répondu aux questions de leurs parents. Une petite bulle toute jolie pour y croire, à l’avenir.

 

Ce soir, il est arrivé dans le dernier groupe de visiteurs. Il m’a laissé parler et avant de quitter ma salle:
– Vous me reconnaissez ?
C’est facile de dire “un ancien élève forcément !” mais avec un masque et 20 années de plus, c’est plus qu’un défi de reconnaître, un défi que je ne sais pas relever au-delà de “un ancien élève forcément !”
Seul, le nom souvent réveille ma mémoire. Ce fut le cas.
Un ancien élève, je me suis souvenu de son année, de trois autres camarades de sa classe, d’un voyage scolaire aussi.
Un ancien élève papa aujourd’hui avec, à ses côtés, sa fille. Future élève.
On s’est attardés à quelques souvenirs encore.

– Je suis heureux de revenir ici…j’avais oublié que ça sentait si bon…
– Oh ça, tu sais…je peux encore te tutoyer dis ? … ça, c’est le mimosa. On en a mis dans toutes nos salles !
Il a doucement regardé sa fille.
– C’est vrai…mais ça sentirait bon sans ça, mes souvenirs de collégien. J’espère qu’elle en aura de très beaux aussi… à bientôt !

 

C’est joli de ne parler de rien

 

22 heures et des poussières.
La journée a passé, dense. Des cours, des réunions, un conseil de classe très tardif. C’est drôle parce que je savais toute la journée qu’il fallait que je fasse un peu plus attention au beau. Je l’ai guetté. Pour ne pas le louper. Pour vous le dire ici.

22 heures et des poussières.
La journée a passé, dense. Je n’ai pas croisé le beau en grand. Je l’ai aperçu en tout petit, très petit, je crois.

Dans le temps de la vie de classe de ma sixième.
Je leur donne toujours la parole.
J’ai fait comme d’habitude. Enfin, pas tout à fait.
” Si vous voulez partager…sur l’actualité, c’est votre temps…je vous écoute”.

J’ai essayé de ne pas mettre d’inquiétude dans ma propre voix, voulant leur laisser un espace pour poser des questions, exprimer leurs sentiments, mettre des mots sur leurs peurs.
J’ai essayé mais peut-être que j’ai mis quelque chose dans ma voix, je ne sais pas. Ce que je sais, c’est qu’un silence très lourd a commencé. Ça n’arrive jamais. Ils ont toujours des tas de choses à partager. Un silence de quelques secondes qui m’a paru interminable. Peut-être bien qu’ils me disaient tous qu’ils n’avaient pas de mots pour dire la guerre, peut-être bien qu’ils me disaient tous qu’ils ne voulaient pas, que d’habitude on partageait du joli, du vraiment joli et que là… Peut-être.
Je ne sais pas.
J’aurais repris la parole pour leur parler des projets à venir si B., avec son grand bras levé, ne l’avait pas demandée.
“J’ai quelque chose à partager, moi.”

Je m’attendais à ses peurs, des images, des questions.
Il a continué, tranquillement.

“Je sais qu’il ne faut pas trop regarder la télé mais si vous pouvez faire une exception mardi 15. L’émission avec la boulangerie de mon papa passe enfin sur M6.”

Il y a eu une petite seconde ou deux avant que je réagisse mais la classe l’avait déjà fait. Le silence s’est rompu comme un gros ballon de baudruche en un souffle de sourires, de “ah oui c’est vrai !” faisant allusion au récit de B., il y a quelques mois, nous racontant les caméras dans le fournil, les journalistes débarquant dans la boulangerie familiale, et même la recette du jour dévoilée.
Les questions ont fusé à nouveau, les rires aussi.
J’ai laissé leurs petites têtes attraper un peu de légèreté.

Tout devant, à la fin de l’heure, elle m’a regardée chercher dans mon cartable les feuilles que je devais leur distribuer pour le prochain conseil de classe.

“Moi, j’ai l’impression que de parler des choses de la guerre, ça ne change rien à la guerre, ça m’a fait du bien là… ça fait du bien des fois, enfin c’est joli de ne parler de rien… J’peux vous aider à distribuer vos feuilles m’dame si vous voulez?”

Malgré tout

On m’a soufflé que donner du beau à voir, ce serait plus qu’une gageure pendant ce Carême.

J’ai cru que ce petit mot soufflé avait raison. Peut-être oui, une gageure.
J’en suis beaucoup moins sûre en cette veille des Cendres. J’ai pourtant mille raisons de dire que le moche est absolument partout. Au détour d’une dictature, au bord d’une guerre, au creux d’une violence abjecte, au fond du minable, du mauvais, du mal. Dans les yeux d’un enfant qui meurt, dans les bras d’une mère qui le perd, dans les cris d’un père qui le retient.

Sûrement oui, une gageure.

C’est toujours un truc presque impensable de regarder le beau, de le chercher encore, d’oser même le dire. Cela semble futile. Et insolent comme la vie.

Insolent.

Et pourtant au détour de bras qui se lèvent, au bord d’un morceau de paix, au creux d’une douceur indécente, il y a ce quelque chose de beau.
Dans l’Espérance, la tendresse, l’amour, il y a toujours quelque chose d’essentiellement beau.

Essentiel.

Mercredi des Cendres.
Il y aura demain la poussière, ces gris, nos fragilités.
Il y aura demain Sa croix tracée sur nos fronts, à peine visible, discrète.
J’oserai dire qu’elle est belle.
Petit bijou, porté avec mes peines, porté avec mes joies.
Espérance d’un amour infini. Belle, malgré absolument tout.

 

 

Belle entrée en Carême, je viendrai vous retrouver le soir, parfois un peu tard sans doute, pour essayer de donner à voir le grain de beauté de ma journée.

à jeudi