Pain

« Où trouverons-nous dans un désert assez de pain pour rassasier une telle foule ? »

 

Pain. c’est mon mot d’évangile numéro 4.

 

Mon grand-père m’a raconté un jour cette histoire.
Il était gamin. Il devait avoir 7 ou 8 ans environ, on était dans les années 1920 je pense. Il jouait dans la rue avec les camarades du quartier. Il habitait la ville qui n’a rien à voir avec la ville d’aujourd’hui parce qu’on pouvait jouer dans la rue et même au beau milieu, sans aucune crainte, souliers de semaine à taper dans un ballon, dans une pierre parfois ou cette fois-là, dans un quignon de pain dur. Une partie de ballon faisant rouler le pain sur le bitume, une partie endiablée, et le mot n’est pas trop fort puisque les deux gendarmes qui passaient par là  à bicyclette, voyant la scène, ont aussitôt joué de leurs sifflets et sauté de leurs engins. Grand-père, que je voyais toujours grand et solide, racontait l’anecdote avec une petite voix comme s’il avait encore 7 ans et que le gendarme était encore à ses côtés.
– On a pris une bonne leçon de morale, oreilles tirées jusqu’à la porte de la maison où nos parents n’ont surtout pas oublié de nous punir ensuite après avoir, eux-mêmes, reçu une leçon pour leur “mauvaise éducation”.

Voilà. La chose était dite. À l’époque où mon grand-père était gosse, jouer avec le pain était sacrilège.

Il en avait gardé comme beaucoup de personnes de son âge un vrai souci. Le pain ne se gaspillait pas, ne se jetait pas, ne se posait pas à l’envers sur la table, recevait une petite croix en son cœur avant d’être tranché. Et même si mon grand-père n’était pas de ces traditions, il  ne pouvait cependant échapper à celle-là .

J’ai grandi avec ça.

Le pain, nourriture précieuse. Inutile de dire que pour Son Pain, ce n’était pas très compliqué d’en saisir aussi le sacré.

Mais, j’ai toujours mieux compris l’importance du pain en minuscules.

 

C’est ainsi qu’on m’a appris que le manque le plus terrible était celui qui tord le ventre de faim.
Manque de ce quignon absent de nombreuses tables,  absent des listes de courses de ceux qui ne peuvent plus, de ceux qui ne peuvent pas, et pour une bonne partie de notre monde, savoir que se nourrir n’est que bataille, pour beaucoup le combat de chaque jour que Dieu fait.

Il y a dans l’histoire de mon grand-père une autre époque, c’est vrai, mais je garde le souvenir de sa honte et de ce qu’il m’a appris à sa suite. Racontée sans fierté, il reprenait souvent ce que la punition de ses parents ajoutée au sermon des gendarmes lui avait laissé longtemps après. Et il n’a eu de cesse de répéter que la nourriture n’est pas précieuse en soi mais son manque est des plus terribles. Pour ses parents qui l’avaient vécu vraiment, arrivés d’un ailleurs plus que difficile, cela avait dû être un leitmotiv. “On a beau tout vouloir, le ventre vide on ne peut rien. On a beau croire, le ventre vide, on ne croit rien.”
La nourriture est sacrée. On ne joue pas avec ça.


J’essaie de ne jamais l’oublier.

Je l’ai vu, je le vois encore. Ce manque. Cette absence de l’essentiel.
Absolument révoltant.

Rien à dire de plus.
Ton Pain, Seigneur, ne comble pas toutes les faims.
Toi, Tu le sais bien. “Ils pourraient défaillir en chemin.”

 

En ce début d’Avent, donne-nous de pouvoir vraiment partager.
Puissions-nous déconfiner nos cœurs, Seigneur.

 

Joie

“À l’heure même, Jésus exulta de joie sous l’action de l’Esprit Saint.”

 

Joie. C’est mon troisième mot d’évangile.

 

Cette fois, il m’était bien difficile d’échapper à ce mot.

Ce mot, je l’aime. Pleinement.
Pleinement oui, je sais qu’il me colle à la peau. Depuis toujours, par-delà les blessures, au-delà des difficultés, bien loin de tous les ratés, de toutes les déceptions, de toutes les tristesses, ces quatre lettres ne m’ont jamais lâchée. Et je souris à l’idée que c’est le cadeau de ma vie, une grâce, une vraie grâce. 

Joie.
C’est un cri qui ouvre la bouche en un sourire.
Joie.
C’est un cri. C’est un cri. Un cri ! Rien de béat, rien de naïf.
Joie.
Ce sont quatre voyelles de vrai courage menées par une consonne qui pétille.

Joie. Il en faut, profondément, comme Maya ose me le redire, elle qui sait que toutes les galères ne lui ont jamais fait douter de la vie qui vaut  la peine d’être vécue.
Joie. Il en faut, simplement, pour continuer à aimer sans rancune, sans amertume, sans regrets.
Joie. Il en faut, humblement, pour oser dire que l’on croit en Toi.
Joie. Il en faut, drôlement, pour aimer ce foutu monde.
Joie. Elle est là.
Au creux de moi. Silencieuse parfois, éclatante souvent.

Merci Seigneur de l’aimer aussi, de l’aimer vraiment. Fais que, pour cet Avent, nous soyons capables de la répandre autour de nous. Simplement.

 

 

 

 

Réparer

“Ils étaient dans la barque avec leur père en train de réparer leurs filets.”

 

Réparer. C’est mon deuxième mot d’évangile.

 

J’ai toujours aimé ce verbe-là. Réparer.
À le dire, il remet à neuf le vieux vélo rouillé qui traînait au fond de la remise, il retape en quelques coups de pinceaux la commode vieillissante, il rapièce le pull abimé aux coudes dont on ne peut se défaire parce qu’elle l’avait tricoté pour nous aider à supporter les hivers de nos vies.

Réparer. J’aimais ce verbe déjà quand Angèle, un soir de Lourdes où le sommeil ne voulait pas venir, m’a tenu la main longtemps, assise au bord de son lit, priant toutes deux d’une même voix. “Avec Lui, tu sais me réparer un peu mon petit, merci.”

Réparer. J’aimais ce verbe encore quand, un peu plus tard, j’ai cessé de demander de l’aide dans ma petite prière et j’ai osé un simple “répare-moi Seigneur” que Tu as bien compris.

Réparer. Je les imagine bien Jacques et Jean. J’ai vu comment les marins faisaient sur le port. Ils ont cette précaution à passer entre les mailles un nouveau brin, cette attention à dénicher les espaces trop lâches qui pourraient laisser passer les poissons, ce souci de redonner solidité à ce qui ne l’est plus.

 

Réparer. Décidément, je l’aime vraiment ce verbe et il nous va bien en ce début d’Avent.
Donne-nous Seigneur la force, le courage ou plus simplement Ta présence pour nous réparer, pour réparer autour de nous. Passer des liens entre les mailles de nos vies, repérer les espaces trop fragiles qui laissent tant de gens au bord des chemins, tendre une main solide pour aider à se relever, à se réparer.

 

Endormis

“Il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis.”

 

Endormis. C’est mon premier mot d’évangile pour ce nouvel Avent.

 

Il aurait suffi d’écrire “éveillés” ou mieux,“veiller”, pour que les mots viennent plus facilement. Ou pour être dans le bon ton peut-être.
Il y a toujours des mots-clés, ceux qu’il ne faut pas louper. “Veiller”, depuis longtemps et pour toujours, est de ceux-là,  j’ai bien compris.
Éveillée… Je crois bien le connaître dans ma vie ce mot pourtant.

Je restais éveillée toute petite dans mon lit pour surprendre le père Noël, certaine que cette fois je le verrai.
Je suis restée éveillée de longues heures pour écrire d’aussi longues copies de collégienne, de lycéenne, d’étudiante.
Je suis restée éveillée pour mes bébés lorsque leurs front brûlants empêchaient tout sommeil.
Je reste éveillée sur leurs copies, tasse de café et musique collée aux oreilles, pour les corriger à temps.
Je reste éveillée, si souvent, soucieuse des gens autour, de la vie, du monde.

Et chaque matin, réveillée au tôt de la journée, ce sont les pages de Ta Bible qui ouvrent mes heures.
Et je tourne Tes pages en Te demandant seras-Tu là vraiment et me servant un café j’entends un oui, reste-là près de Moi et je souris, confiante.

 

Il aurait suffi d’écrire “éveillés” comme Tu semblais m’y inviter ce matin. Cela paraissait si facile.
Pourtant.
Pourtant, c’est “endormi” mon mot d’évangile Seigneur. Pas pour prendre le contre-pied, oh non, je ne suis même pas cette audacieuse. Mais écoute un peu…

Je me suis toujours endormie avant de les entendre discrètement glisser mes cadeaux dans mes souliers. Je ne l’ai jamais vu ce drôle de Père Noël et c’est tant mieux. Ils ont gardé ce petit rêve précieux de l’enfant qui croit encore aux rêves.
Je me suis endormie sur mes cahiers, mes livres, mes études et  j’y ai même rencontré, longtemps, un Saint Joseph bien plus endormi que moi !
Je me suis endormie de fatigue, épuisée, laissant le papa prendre le relais et lui faisant confiance- enfin ! – pour calmer les pleurs de nos enfants.
Je m’endors souvent heureuse avec ce qui pour mes élèves est bien plus important qu’une copie à rendre le lendemain.
J’aime quand la paix, Ta paix, parfois, vient endormir mes inquiétudes.

Et au soir, presqu’endormie, ce sont les pages de Ta Bible qui ouvrent mes nuits, n’attendant plus rien, confiante.

 

Endormie. Finalement, il semble que le mot me concerne davantage.
Je le suis bien plus souvent qu’éveillée je crois. Et c’est les yeux clos que je sais lâcher prise et reposer en Toi, me reposer sur Toi.


Je ne sais pas si, tout au fond, je sais bien L’ attendre Ton retour.
Eveillée ? Comment l’être en vérité ?
C’est bien là que Toi, Tu m’attends, au tournant. 

 



Seigneur, cet Avent est bien là pour qu’une fois encore nos yeux ne se ferment pas trop vite. Et qu’ils voient le monde.
Qu’ils Te voient dans ce monde pour apprendre encore et toujours à aimer, à l’aimer ce monde aussi même si, lui, ne semble plus vraiment T’attendre.

Premier jour d’Avent. Endormis.
Allez Seigneur, laisse à ce premier mot l’audace de nous réveiller doucement. 😉

Mon Avent d’évangile

    Et bon Avent Corine, écris tes doux mots…à la lumière de l’évangile !

Ma vieille amie bénédictine ne croyait pas si bien écrire en terminant sa lettre en cette moitié de novembre.

 

Que pourrais-je venir écrire encore ici que je n’aie déjà écrit pendant tous mes Avents de blogs ? Quelle nouvelle idée pour décliner ces jours vers Noël et y dire encore quelque chose qui vaille la peine d’être lu ?
Dix ans de petits mots partagés, dix ans déjà, avec toujours le même plaisir de vous savoir là, fidèles, et l’envie de continuer encore un peu. Mais comment ?

 

Des mots d’évangile.
Non pas une idée mais une évidence. Ces confinements successifs, privés souvent de rassemblements d’église et de réunions de paroisse, m’ont donné le temps – ou l’envie, ou le besoin peut-être ? –  d’ouvrir encore davantage les pages de Son Livre. Goûter Sa Parole, la ruminer, la laisser prendre de la place. 

Des mots d’évangile.
Voilà un Avent plein d’évidences et en même temps de nouveautés car ce n’est pas mon “métier” de creuser l’évangile et le risque d’y dire ce qui n’y est pas ou ce qu’on voudrait y voir n’est jamais très loin. Il y a toujours cette méfiance à mon propre égard chaque fois que j’ose commenter, même brièvement, Sa Parole. Et souvent, je préfère, simplement, la lire et la laisser faire.

Des mots d’évangile.
Alors, oui, j’ose, à l’instar de cette vieille amie qui souvent m’encourage à commenter mes propres remarques et à les oser. Alors oui, des mots d’évangile, mais avec ce que je sais faire: les faire résonner dans mon quotidien, dans la simplicité d’une petite vie de prof, d’épouse, de maman, de femme. Rien d’autre, car, finalement, je ne sais rien d’autre.

Des mots d’évangile. Un par jour, au petit matin, pour le garder au long des heures. Un seul, attrapé dans la lecture du jour. Simplement. Ce mot qui saura m’arrêter, qui osera me faire réagir, qui pourra aussi me pousser à quelques pas sur son chemin vers la pauvre mais si lumineuse étable de Bethléem.

 

Bonne semaine et à dimanche, amis lectrices et lecteurs  🙂

Corine

Couleurs (5)

Une histoire de vermillon

 

Il est des tout petits moments en classe de français qui ressemblent à des pépites. 

Au détour d’un texte, mes 6è ont rencontré l’adjectif vermillon et comme il s’agissait de qualifier un vêtement, je leur ai demandé sa couleur. Le vert a fusé. Vert millon dans leur tête sûrement. Des mains levées, toutes du même avis. Au milieu de leur acquiescement – que j’ai cru un instant unanime – pour un vert sans doute un peu clair, une main timide s’est levée, hésitante. Une main qui ne se lève jamais.
– Je crois que c’est rouge plutôt. Je crois qu’on dit rouge vermillon.

La classe s’est tue, scrutant mon regard puisqu’il n’y a plus que le coin de mes yeux qui se plisse légèrement pour sourire.
Alors, félicitant ma jeune élève, j’ai raconté le vermillon, l’origine latine du pigment, son rouge éclatant aux frontières d’un orangé en sortant de ma trousse ma panoplie de crayons de couleur.

Un adjectif de plus dans leur sac de mots qui peu à peu grossit de leurs échanges. Et le rappel que chaque parole compte et que, parfois, 29 réponses identiques ne savent pas ce que la 30ème ose dire.

 

J’ai repensé à ce tout petit moment de classe ce matin. Cette presque unanimité qui parlait fort et sa petite voix qui disait la vérité. Et je crois bien que cela m’a rassurée un peu en traversant rapidement les réseaux de me rappeler que les vérités tout comme les jolis mots, les petits instants de paix, les presque riens qui donnent du sens à nos existences, ce ne sont pas souvent les paroles les plus bruyantes. 

Il est des tout petits moments de classe qui me font – les font je l’espère aussi – sourire. Un peu plus.

 

 

Couleurs ( 4)

La couleur d’un dimanche

Je ne sais pas trop quelle couleur colle à la peau de mon dimanche, je sais seulement qu’il était joli. Comme cette chanson que j’aime toujours fredonner, toujours autant. 
Je l’ai mise dans mes oreilles, en boucle, et je suis partie, à pied. Seule. La petite famille occupée au jardin et ailleurs m’a souhaité une “bonne petite sortie d’une heure”. Il est drôle ce temps limité.
Une heure, une heure seulement, ça oblige à choisir son chemin.

J’ai pris celui vers l’église. Il descend doucement.
Il y a le soleil, le ciel vraiment bleu, on dirait un début de printemps. Un début de printemps en novembre. Il est drôle ce temps bouleversé.

J’ai poussé la porte laissée entrouverte. J’ai éteint la musique dans mes oreilles. J’ai respiré un peu au-dedans les parfums des bancs de bois. Personne.
Je ne suis pas certaine d’être déjà entrée dans mon église sans personne et d’y être restée seule. Il est drôle ce temps confiné.

Je me suis assise. Devant. J’ai souri en Lui disant que je ne venais pas prier mais que j’avais juste envie d’être là, avec Lui. Chez Lui.
J’ai jeté un regard à droite, vers notre coin pour les enfants. Livres et coloriages bien rangés.
La lumière était belle. Je l’ai attrapée sur mon portable. Comme pour Le garder, Lui.

Je me suis levée. Et avant de repartir, j’ai fait le tour de l’autel. Petite lumière rouge. Je suis restée là, sans bouger, à Le regarder. Je lui ai souri, encore. Il est drôle ce temps d’Église. 

15 heures a sonné. Je suis repartie. Comme j’étais venue, sans rien dire. Comme on passe voir un ami, parfois, juste pour lui dire tu sais, je suis toujours là, moi aussi.

Il y a toujours le ciel vraiment bleu et le soleil, dans les yeux cette fois. 

Je descends encore. La boulangerie est ouverte. Je vais leur rapporter des pains au chocolat. On reste un peu à bavarder oh…de rien, juste du soleil comme un printemps. Il est drôle ce temps de novembre décidément.

Il faut remonter maintenant. Je remets la musique dans mes oreilles. Je souris au doux de ce dimanche qui ne ressemble à rien.
Je ne sais pas trop quelle couleur lui colle à la peau d’ailleurs.
Je sais seulement qu’il était joli.

 

Couleurs (3)

Aux couleurs de nos p’tits riens et de leurs prières

Le lundi est toujours rempli. Ce lundi de reprise l’était encore davantage. Rempli de la joie de retrouver nos élèves, de nos premiers échanges suite aux attentats, de nos idées encore pour vivre le quotidien le mieux possible. Et puis, entre collègues, de notre soutien, notre écoute, notre bienveillance. On est bien loin de Paris et des grandes villes. Et même si on comprend l’ailleurs, on ne peut pas vraiment au fond. Parce qu’ici l’envie d’être là, ensemble, malgré tout, est toujours la plus forte.
Et parce qu’elle est possible.

Au soir, rentrée fatiguée, inquiète de l’avenir mais heureuse.
Et trouver sur mon bureau un mot doux. Un faire-part de naissance tout blanc, tout beau, et un tout petit garçon me redit que la vie est belle malgré tout. Parce qu’elle est vie.

 

Et la semaine a continué. On aurait pu l’imaginer en demi-teinte, entre mille précautions et autant de soucis du monde.
Mais non. Il y a bien autre chose dans les petits riens du quotidien.
Mardi a pris la couleur de leurs idées, peut-être parce que dans la rue, juste en face, vraiment juste en face du collège, il y a l’Ephad. En temps normal, c’est l’occasion de quelques blagues sur notre devenir de vieux profs dans la salle du même nom. ” Et si ça continue, on aura plus qu’à traverser la rue.” On ne rit plus trop de ça aujourd’hui. Mais au matin, en ouvrant les fenêtres de ma classe, je ne peux m’empêcher de regarder les lumières en face et leur dire “on pense à eux.” Certains savent que, là, leur arrière grand-mère aimerait bien les voir. Il suffirait de traverser cette rue. On ne peut plus.
–  Mais …on pourrait leur écrire des lettres pour Noël madame ?
– Avec des décos !
Et il suffit de croiser Marie-France en arrivant le mercredi matin qui me dit que c’est possible. L’infirmière jouera la factrice pour nos lettres colorées.

 

Et la semaine se termine. Elle aurait dû s’étirer en longues soirées de rencontres avec les parents, elle a finalement filé un peu autrement. Et au dernier jour,  j’ai retrouvé mon groupe de caté 5è. Ils voulaient parler de Dieu et du mal, de Dieu et de la guerre, de Dieu dans tout ça et finalement, au soir de ce vendredi, ils n’avaient plus très envie. 
– On en parle beaucoup de ce qui va mal madame, moi j’aimerais mieux prier. 
J’ai cru que sa parole tomberait à l’eau au milieu des vingt jeunes réunis avec moi. C’était oublier trop vite que lorsque nous sommes réunis…Il est là, Lui aussi.

– M’dame, on fait comment si on veut prier ?
L’un a dit son coin prière mais qui ne lui “sert” plus, “c’était quand j’étais au primaire”. Lui, l’église de ses dimanches à servir l’autel. Mais pour tous les autres, pas de prières non.
– D’abord, on ne sait pas comment faire.

Alors.
Alors, il y a toujours cette musique sur ma clé USB. Des couleurs dans mon sac de caté. En crayons, en papiers. Des icônes imprimées.

J’ai sorti mon bazar. Souri secrètement en repensant à Mary Poppins et son grand sac.
– Moi, mes p’tites prières, je les écris à Dieu. En couleurs. Si vous voulez je vous montre un peu…
Ils ont eu l’air de sourire. Leurs mots ont dit un chouette que j’ai reconnu.
On a baissé un peu les volets. Laissé la musique se dérouler. Et dans un silence improbable dans une classe de 5è, un vendredi en dernière heure, il ont posé les mots de leurs prières sur le papier.
Ils ont prié, je crois.
Et moi avec eux.

 

Couleurs (2)

Parfois la couleur de mes jours est musicale.
Elle sonne dans mes oreilles depuis le réveil.
Première chanson sur ma playlist au matin, clin Dieu sûrement.  😉
Demain peut-être oui, mais c’est dès aujourd’hui que Dieu met dans nos vies l’adjectif “heureux”,
adjectif aux contours bien naïfs que Lui seul sait rendre immensément profond.
Bonne fête de la Toussaint à vous qui passez par ici !

Toussaint I, 1911, Vassily Kandinsky

 

Couleurs (1)

Dans les gris de novembre et du monde, il est difficile d’apercevoir les couleurs. Aucune nuance ou si peu. C’est souvent ainsi mais nul doute que cette année, la noirceur semble estomper la lumière.
Alors, peut-être pourrais-je essayer d’en poser ici des couleurs, celles que j’attrape d’un regard, celles que je touche du doigt, celles qui embaument un peu l’espace de mes jours. Au fil de novembre et avant un Avent de possible douceur.  😉

 

Un rond de soleil

J’ai travaillé toute la journée.
Me replonger dans la poésie pour mes 3è, dans des contes merveilleux pour mes 6è, dans des montages audio pour mes latinistes. Oh… qu’elles m’ont fait du bien ces heures à lire, chercher et écouter à nouveau leurs voix ! Oui, qu’elles m’ont fait du bien. Je ne voulais plus rien entendre du monde. Rien. Surtout pas tous ces profs qui ne cessent de tempêter contre un pouvoir qu’ils critiquent mais dont ils attendent Tout pendant que mon petit collège silencieux – et beaucoup d’autres comme lui je le sais –  travaille d’arrache-pied ce vendredi de vacances pour prendre à bras-le-corps le retour des élèves et leur préparer un temps de parole et d’écoute. Et c’est prêt. Et cela se fera, comme d’habitude, à la seule force de notre bienveillance, de notre imagination  et de notre temps donné. 
J’ai travaillé toute la journée.
Par la fenêtre de mon bureau, le noir du ciel annonçait la pluie. Je l’ai aperçu lui aussi, cherchant à occuper son temps ailleurs que derrière son écran, ramassant les feuilles mortes, allégeant la terre de son potager, sciant les rondins pour le feu qui bientôt nous réchaufferait. Oh… qu’il m’a fait du bien son sourire, son clin d’œil par la fenêtre ! Oui qu’il me fait du bien. Je ne voulais plus entendre les cris du monde. Plus aucun. Surtout pas tous ces gens qui savent mieux que personne ce qu’il faut dire ou ce qu’il faut penser quand je ne sais pas ce qu’il faut répondre au mal, quand  je ne sais que les larmes et si peu la colère, quand je crois seulement au verbe aimer.
J’ai travaillé toute la journée. J’ai rempli l’espace de mon temps pour oublier.
Mais rien ne s’est vraiment apaisé.
Puis l’heure s’est approchée. Celle qui mène doucement mes pas vers la cuisine. Celle où je travaille autrement de ma tête et de mes mains.
J’ai fait bouillir l’eau, jeté le riz en pluie, mélangé le lait à la crème et aux raisins blonds, laissé frémir le dessert à petits bouillons. 
J’ai attrapé le potiron, caressé un peu ses joues dodues et orangées, coupé sa chair en morceaux. J’ai préparé une soupe à la douceur du velouté en ajoutant quelques herbes, un peu de crème encore. Les odeurs se sont entremêlées, parfums prometteurs d’une belle fin de journée. Un rayon de soleil par la fenêtre a percé les nuages. J’ai sorti les assiettes et dressé joliment ma table. Comme si je m’invitais à être heureuse. Un peu.

Et curieusement, le verbe aimer a enfin pris du sens, autour d’un petit rond de soleil.
Premier jour orangé.