Comme une pâte de fruits

Je préférais les pâtes de fruits.
Et pourtant, le chocolat était plus qu’un péché mignon.
Mais à Noël, je préférais la petite boîte de pâtes de fruits au sachet de crottes en chocolat. Sans doute, y avait-il alors l’attrait pour les couleurs, puis les grains de sucre qui fondaient d’abord en bouche avant de découvrir la saveur du fruit que le rose, le vert pâle ou l’orangé ne révélaient pas toujours. Il faut dire aussi que ces pâtes de fruits-là avaient le bon goût d’une fabrication artisanale et que la praline des chocolats n’avaient pas le croquant du carré noir que j’aimais tant.

Je préférais les pâtes de fruits.

Ma petite boîte, je la gardais assez longtemps contrairement aux tablettes de chocolat souvent dévorées trop rapidement. C’est comme si chaque petit carré coloré était promesse d’un instant de douceur dans le gris de l’hiver. Souvent, la pâte de fruits accompagnait le début d’une lecture, lovée dans le sofa, près du feu, et annonçait ainsi un moment hors du temps.

Il est arrivé hier soir avec une jolie boîte. Je crois que cela faisait une éternité qu’on ne m’avait offert des pâtes de fruits. Moi-même, j’en achète encore à l’abbaye tout près d’ici, de temps en temps, mais en cadeau, non, je n’en reçois plus depuis ces Noëls d’autrefois. 
Il est arrivé l’ami, avec son sourire et avec  cette chaleur des retrouvailles devenues plus rares depuis quelques temps.

Ce matin, à l’aube de recevoir à nouveau des nouvelles qu’on annonce difficiles, j’ai regardé la jolie boîte et je me suis demandée comment du joli, j’allais pouvoir en donner dans les semaines à venir. Dans les gris des nouvelles, trouver de la joie, encore.
Peut-être garder les sourires comme autant de petits grains de sucre qui augurent un moment de douceur.
Peut-être offrir mes doux mots comme autant de parfums, de fruits et de saveurs qu’on peut garder au cœur.
Peut-être rappeler les couleurs des milliers de petites choses apparemment insignifiantes pour ne pas laisser la grisaille envahir l’espace.

Savoir être pour les proches, les amis, les collègues, les élèves peut-être, les gens autour, un petit instant de douceur.
Un peu comme une pâte de fruits.  😉

Rien que des petits instants

Un vrai week-end d’automne avec des heures de pluie qui rendent la terre plus parfumée, des coins de ciel encore bleus pour éclairer doucement les jaunes, les orangés, les rouges même des feuillages. Et puis, les jolis instants partagés avec les filles, les petits messages du fils encore confiné, les sourires de Léa qui va mieux, l’envie de se revoir tous et la crainte des jours à venir, quand même.

La balade a mené nos pas dans les feuilles mortes qui au vent semblaient si vivantes à tournoyer sans cesse.
Comme la vie est étrange soudain, celle qui me demandait encore au matin comment bien aimer.

Je traîne les pieds dans les feuilles.
J’ai l’impression que tout s’effiloche.
Mes presque certitudes.
Celles qui mettaient l’amour du prochain en tout premier.
Je tape dans les bogues.
Pourtant si.
Chaque fois, c’est bien cette Parole d’amour qui a raisonné ( ou résonné, comme on veut).
Pourquoi je doute.
Je ne suis même pas sûre de ma question.
Des petits cyclamens sauvages étalent leurs frimousses mauves au-dessus des feuillages qui jonchent le sol, morts.
Pourtant si, c’est bien l’amour qui reste.


Alors, rentrer auprès du feu, cuisiner une quiche vraiment gourmande et savourer le temps. Celui qui s’abrite dans la maisonnée, qui attrape les minutes tristes, qui garde la joie intacte. Pas à la folie, pas cette joie intempérante, indomptable, impatiente. Non. Une joie toute petite, toute modeste, presque invisible.

Celle qui sait dire que de beaux jours reviendront. Certainement.

Et qui fait sourire. Encore.

 

Une p’tite claque

Ils sont partis en stage alors on s’est dit au revoir mardi. Dernier cours, j’ai échangé une petite série de bouquins à leur prêter contre leurs carnets autobiographiques à lire.
Pas sûre d’un échange équivalent.

Parce que moi, au soir, j’ai passé deux heures à les lire sans pouvoir décrocher mon regard de leurs mots.
Un petite claque.

Ils ont répondu à mon questionnaire de Proust un peu revisité.
Ils ont dit leur défaut, leur qualité. Justesse des mots.

Ils ont dit leurs couleurs, leur animal, leurs héros de fiction préférés.  Tendresse.
Ils ont écrit leur état d’esprit, celui du moment. Avec humour, souvent.

 

Ils ont collé des photos. Jolies.
Ils ont dit leurs dégoûts aussi. Pour les insultes, les injustices, les manques de confiance qu’on avait en eux.
Et le don de la nature qu’ils voudraient avoir. Voler au secours, soulager, guérir.
Arrêter les catastrophes.

Et leurs héros de la vie réelle. Des stars parfois. Leurs parents souvent. 
Et sa p’tite soeur, pour Lui qui n’a plus qu’elle.

Et leur rêve de bonheur. Être et rendre heureux. Tous. Bluffant.

Et pas un mot, un seul, sur le virus, les masques, les râleries du monde, les bêtises des grands.
Ils m’ont fait sourire. Ils ont 14 ans.
Merci.

Une jolie p’tite claque.

Un mercredi d’automne, un coin de jardin et les parfums en cuisine

Il y a des petits moments attrapés au temps qui va, des petits moments qui ont la douceur des presque rien, des pas importants, des juste ça, des petits moments qui font du bien et peut-être que, parce qu’ils font tellement de bien, on les garde pour soi, bien au chaud, quelque part. En soi.
Ce n’est pas pas par peur de les partager non, mais à quoi bon.

Est-ce que la douceur, une fois partagée, peut se répandre ailleurs ?

J’ose y croire pourtant.
Encore.

 

J’ose y croire pourtant qu’aimer le doux c’est ne pas accepter la dureté du monde.
J’ose y aller encore, sans cesse, dans cet autre sens de la marche qui presse, oppresse, rabaisse.
Je suis de cette naïve – et vive pourtant – conscience qui ose dire que la douceur est rebelle.

Il suffit d’ouvrir la porte vers le jardin, de poser une laine sur ses épaules et d’affronter le froid pour attraper le soleil de la vigne vierge qui s’accroche à mes fenêtres. 
Et garder les rouges flamboyants d’un jardin d’automne pour affronter les rues trop pâles de l’hiver et des villes et leurs mains mais j’essayerai de sourire encore parce qu’il y a la vie. Toujours.

Il suffit d’entendre sa voix qui fredonne en anglais, de la regarder cuisiner comme je lui ai appris pour attraper les souvenirs de son enfance qui s’accroche toujours à mon cœur.
Et garder les parfums de son tajine maison pour emporter dans mes classes, cette année, où j’essayerai de leur donner le goût de raconter les parfums qui font la vie, aussi. Encore.

 

Il suffit de presque rien.

 

Un rayon qui s’attarde au soir, un mercredi d’octobre qui attend, un peu de temps pris au temps.

Il suffit de pas grand chose pour mettre le doux en premier sur la-liste-des-choses-essentielles qui donnent encore la force d’être là.
Et continuer d’avoir cette volonté épuisée mais vivante, bien vivante, de vouloir aimer.
Toujours.

 

 

Au bord de tous mes chemins

J’ai pris la route du collège. Un dimanche matin. Quelle drôle d’idée. Non, pas une idée. Une invitation. Une invitation à retrouver son église aussi. Parce que l’église de mon collège n’est pas tout à fait la mienne.

C’est un peu drôle. Depuis presque 30 ans, j’habite à 10 kilomètres de mon collège sans que celui-ci ne soit dans ma paroisse. Et depuis 30 ans, je partage ma vie de paroissienne d’un côté avec les gens de “chez moi”, mes églises et notre curé et de l’autre avec les collégiens et leurs familles, leurs églises et leur curé. C’est un assez joli mélange d’habitudes, de visages, de rencontres.

Mais depuis cette rentrée, la paroisse où se situe mon collège s’est ajoutée à la mienne pour “partager” le même curé. 
Et ce matin, j’ai pris la route du collège pour fêter l’installation ( et la fête !)  de François, curé de ma paroisse et désormais aussi de celle de mon collège.

En vrai, cela ne change rien. Ou si. Les liens d’amitié et de fraternité tissés avec lui ne pourront que grandir.

Et puis, il y a eu ce p’tit quelque chose d’autre.

C’est en entrant d’abord que je l’ai ressenti.
Dans l’église, immensément grande. J’ai repensé à nos célébrations de Noël du collège, au mariage de cette ancienne élève qui m’avait invitée, à cette chouette veillée de Pâques où deux de mes élèves se faisaient baptiser. J’ai repensé à des sépultures aussi. Quelques années après mon arrivée, cet élève et son papa, je ne les ai pas oubliés. Des parents. Une maman dernièrement.

Je n’ai rien oublié. 
Et en sortant, sur le parvis encore.
Nos masques ne nous ont pas empêchés de nous reconnaître. Jeanne était là, Bernard aussi. Les premiers qui m’ont montré le chemin du caté. Ce possible de mon collège parce qu’il est catholique. Ces petits bouts de mon temps additionnés à ceux de certains de mes élèves, en fin de nos vendredis sous un arbre à l’abri du soleil et au cœur de la Parole, aux détours de nos week-end au monastère de Martigné-Briand, et toute cette floppée de souvenirs de temps ensemble, ici dans cette église ou là,  est revenue, d’un seul coup. Bouffée de vie et de joie.

J’ai repris la route vers la maison. Ce dimanche matin. Quelle drôle d’idée m’est venue soudain encore à l’esprit.
Je me suis demandée si, dans ce petit collège, j’aurais pu n’avoir été qu’une prof de français -latin.
Je me suis demandée si j’aurais pu me passer, depuis presque 30 ans, de tout mon temps de “caté”. 
C’est drôle parce que je ne m’étais jamais vraiment posée la question.
Vraiment.

Peut-être parce que les élèves, eux-mêmes, n’ont jamais rien mélangé et qu’en cours, je suis leur prof avec mon travail, mes livres et mon nom quand en caté je suis avec Sa Parole, nos partages et madame – Corine parfois. Simplement.
J’ai pensé à tout ça tout mon dimanche. En corrigeant. En bouquinant. En cuisinant même. 
Une pensée comme une petite prière en filigrane je crois.
Qui me redit que Dieu, de ma maison au collège, du collège à ma maison, est bien au bord de tous mes chemins.  😉

Octobre

Une voyelle pour deux consonnes

Octobre joue un drôle d’équilibre entre ses derniers ronds de soleil et son souffle rude glissé entre ses lettres.
J’ai allumé un feu, j’ai sorti les poivrons orangés du panier pour cuisiner du soleil, j’ai respiré la chaleur des couleurs.
La maison semble tiède.
Le temps s’apaise.
Octobre est là, prémices d’un nouvel hiver.

Une voyelle pour deux consonnes
Il suffit de presque rien pour que la vie chante un peu malgré les gris.
C’est octobre qui nous le dit.

Prière à l’aquarelle

On se penche un peu
Le corps cherche l’espace
On dilue les couleurs
Les fondus s’enchaînent
Peut-être que trop vives les vies ne peuvent s’écrire.

On étale le temps un peu
Il s’étire doucement
Il faut laisser le blanc sur sa réserve
Prendre la lumière pourtant
Peut-être que mes glacis délavés sauront la saisir.

Les yeux baissent les paupières un peu
Les mains se détendent
Je  me relève souriante
Je laisse aller les regards
Peut-être que peindre c’est écrire une petite prière au fond.

Ces petits instants et leurs voix

On continue.
Le collège ne se porte pas si mal. On égratigne un peu nos habitudes, beaucoup certains jours. C’est tout.

Je continue.
Avec le même plaisir de les retrouver, avec peut-être bien une envie plus vive encore de ne pas les quitter, de ne pas les perdre, de ne pas se reconfiner.
Avec des idées qui s’enchaînent à tout-va pour rendre ce temps masqué juste plus joli à vivre.

Ils continuent.
À avoir 14 ou 15 ans, à s’amuser – mais pas tout à fait comme avant- à se regarder, à se rechercher.

On continue.
Ensemble.

 

J’ai une chouette classe de 3ème encore cette année.
L’autobiographie- ce joli bout de programme- nous entraîne dans quelques confidences. Ils les écrivent, les partagent parfois.
J’aime bien ces petits instants.

Je me suis dit cette fois je vous enregistre. Ils ont aimé, même s’entendre.
Un petit magnéto. Quelques bruits de classe, juste au-dessus je crois.
Un montage qui efface les temps morts mais pas les hésitations, les tout petits ratés, les souffles ténus qui font que c’est bien eux.
Ils ne lisent pas, ils ont appris par cœur.
J’aime bien leurs écorchures de phrases. Et leurs voix, derrière leurs masques, sont bien là.

 

Ces petits instants de classe.
Leurs voix.
Et leurs souvenirs qui espèrent des souvenirs à enchaîner.

Et je vous partage 3 petites minutes 10, avec eux, à écouter.

 

 

Un virus, des crêpes et Amos

J’ai cru le temps suspendu.
Un confinement a mis les heures entre parenthèses, des infos anxiogènes m’ont fait éteindre tous les écrans et changer mes habitudes mais surtout quelques vraies souffrances ici ont bousculé ma vie. Une vieille personne isolée en Ephad qui se suicide, un homme dépressif qui en fait de même, des tests positifs qui tombent pas très loin.
J’ai cru le temps suspendu.
Le monde ne cesse pas de tourner pourtant et il y a même de belles joies, de jolies nouvelles et des naissances à fêter.
Mais le monde a pris un sale coup dans la tronche. Peut-être bien que je suis un peu plus avec lui finalement. De ma petite vie occidentale qui n’avait pas tant d’inquiétudes.
J’ai cru le temps suspendu, arrêté aux portes de nos maisons fermées ou de nos visages calfeutrés.

Mais le monde, bancal, continue de tourner et le temps avec lui. 

J’ai cru le temps suspendu.
Et on a repris le chemin de l’école. D’une façon différente mais avec un semblant d’habitudes à retrouver. Et elles sont là. Passé le gel des matins, des midis, des récrés, passé le sourire caché, on se retrouve comme avant. Avec les mêmes soucis sur la cour, la p’tite moquée en douce, celui la tête à côté parce qu’à la maison c’est toujours compliqué, et tous ceux pour qui les heures adolescentes donnent envie de vivre , de vivre simplement, de vivre plein de projets encore. Et nos heures de classe, à nous, défilent on espère pour longtemps.

Et j’ai retrouvé les semaines, les emplois du temps, les réunions et le vendredi soir qui se pose. Mes étudiants débarquent, linge sale dans la machine et jolis moments à partager. Le petit dîner, quelques crêpes parce que le sucré remplit autant les ventres que  les cœurs.

Et j’ai retrouvé mon groupe de partage de la Parole. Les masques n’empêchent rien, surtout pas de lire Ta parole encore, de se frotter aux textes, aux mots, aux autres temps de Ton temps. Amos brûlant me redit que ce temps des hommes est fait de rude, d’injuste, d’imparfait.
Tout le temps.

Mais que dans ce temps-là, justement, depuis l’infini jusqu’à l’infini, Ta Parole les a portés, nous porte, me porte.

J’ai cru le temps suspendu.
Mais non, il continue fait de douleur, de sucré, de Toi. De ce drôle de mélange de vie.
Rien ne change.
Mes roses et mes gris de toujours se côtoient.
Et Ta Lumière, dans mes p’tites prières, laisse  aux couleurs du temps leur seul éclat.

Petite râlerie, petit clin Dieu

J’ai repris la route des matins vers le collège et comme souvent à cette période, le soleil levé depuis une petite heure, me fait face.
J’ai beau mettre mes lunettes de soleil sur le nez, il éblouit vraiment. J’ai beau regarder droit devant, il éblouit encore. C’en est plus qu’agaçant parce que je suis obligée de lever le nez- assez haut- pour bien voir ma route, et de ralentir aussi, et d’être plus que vigilante. Et j’peux même pas chantonner tranquille.
Ma route est sinueuse, la prudence s’impose en attendant ou l’hiver ou le changement d’heure je ne sais plus très bien bref en attendant que ce fichu soleil ne soit plus si ardent, ni si présent, ni si lumineux !

Ce matin, rebelote.
Enfin presque.

Il y a eu cette vieille chanson que j’aime bien qui a démarré EXACTEMENT en même temps que je râlais et au moment même où je me demandais si Ta fichue Lumière ressemblait à ça parce que si T’avais une bobine un peu plus ordinaire Tu dégagerais de ma vue… Bref. Je râlais contre le soleil et Tu t’en es pris plein la face.
J’ai ri toute seule.
Et j’ai murmuré un pardon de presque rien.
Et j’ai fredonné en levant le nez.
Et j’ai ri encore. En faisant gaffe à ma route quand même.
Ça fait du bien de rire de ses râleries quotidiennes.

 

Je me suis dit que ça ressemblait à Ta présence, cette Lumière qui m’agaçait.Parce qu’à bien y regarder, elle m’aide à ralentir un peu, à veiller, à prendre soin. Et T’es tellement là que j’ai beau mettre des lunettes pour m’en cacher parfois, ou vouloir que Tu sois autrement ou moins présent ou ailleurs ou que Tu m’laisses un chouilla tranquille, et bien non.
T’es là.

Et je crois bien que Tu continues à me faire lever le nez pour mieux voir.  😉