Soir

Soir.

Il y eut un matin, il y eut un soir.
Sans même un bout de plaisanterie, mes matins vont avec mes soirs. Oui, ils vont même très bien ensemble. Et si on m’a répété souvent qu’on ne pouvait pas être des deux, j’aime vivre pleinement les bordures de mes journées.

Le soir qui rentre du travail et qui a la chance de retrouver une maison bien douillette. Le soir qui sort au spectacle. Le soir qui reçoit des amis. Le soir qui attend le retour des enfants. Le soir qui chante. Le soir qui bouquine sur le canapé. Le soir qui regarde un film sous un plaid. Le soir qui prie. Le soir qui corrige des copies. (Celui-ci semble moins agréable mais il y a la tablette de chocolat, le chat qui ronronne et la satisfaction de se débarrasser rendre le travail le lendemain  😉 ). Le soir qui rencontre autour d’un café. Le soir qui cuisine. Le soir qui ne fait rien mais du bien. Le soir qui se réunit pour un joli projet. Le soir qui écoute.
Bref, j’aime bien tous ces soirs- là. Ils semblent me dire que la vie aime continuer à vivre, qu’elle n’a pas le temps de sommeiller, encore moins de s’arrêter.

Et s’il en est d’autres plus difficiles dans l’année, je sais qu’il y aura au bout de décembre un de mes soirs préférés. Mais il est un peu trop tôt pour en parler, l’Avent ne fait que commencer.  😉

Il y a un autre soir que j’aime bien, qui se profile à l’horizon, qui colore joliment de blanc mes cheveux, qui creuse des petites lignes sur mon visage quand il sourit. Je serai hypocrite de dire que vieillir ne me fait pas peur, que le soir de ma vie serait synonyme seulement de paix. Je mentirai si je disais que vieillir est facile et agréable. Pourtant, je l’ose: j’espère devenir vieille, raconter des histoires encore à mes petits-enfants devenus grands. Il y aura sans doute le difficile des heures plus que fatiguées mais aussi, je l’espère, la joie de les avoir accomplies. J’aime bien vieillir. Non pas pour les petites douleurs et la fatigue plus grande mais pour le temps rétréci qui rend un peu plus précieuse chaque heure. Je le sens, je le sais. Et ce soir me plaît.

Et je repense à Elisabeth et Zacharie. J’aime que leurs soirs ouvrent ma Bible sur des mots d’Espérance.

Bon jour, bon soir à venir, à demain. 🙂

 

Matin

Matin.

6h03. Je ne sais pas si c’est la bonne heure pour parler de ce mot. Je crois que le tôt du matin c’est encore un peu plus tôt. Quand il flirte avec la fin de la nuit, à la bordure d’un temps qui semble arrêté, quand tout est encore endormi. C’est là que je le préfère.
6h05. C’est son silence que j’aime. Celui qui me fait croire quelques instants que mon monde sait se taire et écouter le reste du monde. C’est son silence que j’aime parce qu’il fait un peu plus de place à Dieu aussi.
6h08. Déjà j’entends la voiture de cette petite maman qui va démarrer ses ménages de bureaux avant que l’entreprise n’ouvre ses portes laissant son grand de 12-ans-seulement s’occuper de la fratrie avant l’école. Je ne suis pas très fière d’aimer mes matins douillets au chaud de ma maison devant mes petites écritures.
6h12. Le café brûlant a fermé ma Bible et ouvert mes cahiers de prof. J’aime assez préparer ma journée avec Sa Parole dans un coin de ma tête et le cœur à la fois heureux et toujours inquiet de retrouver mes élèves. De cette inquiétude qui se demande si leur vie à la maison est heureuse.

7h34. Ce n’est déjà plus le matin tranquille. Le chat se tient à la porte. Il veut  faire son tour de jardin. J’ouvre enfin les volets. Je regarde ma crèche, les bougies, les lumières.
Il y a comme une respiration de joie, profonde malgré tout autour. Le savoir déjà là et L’attendre.

Et je pense aux matins de Marie. Après une nuit agitée de rêves, elle a dû poser ses mains, une sur le haut de son ventre, l’autre comme pour Le bercer déjà, et murmurer sa petite prière à Dieu pour qu’Il garde sa promesse.

Que votre matin de ce début d’Avent soit promesse d’un bon jour, d’un beau jour, à demain.

 

Bonjour l’Avent !

Bonjour.

Ce petit mot de rien est la clé. Ce petit mot tout ordinaire est ma clé.
Quand il attend mes matins, au tôt de la maison endormie, il semble accompagner les portes qui s’ouvrent. Il y a quelque chose à vous raconter maintenant que les enfants ont bien grandi et qu’ils ne vivent plus dans notre maison familiale: je continue à descendre l’escalier sur la pointe des pieds, à ouvrir chaque jour les volets de leurs chambres, et parfois, je passe la main pour tapoter un lit, remettre un oreiller, regarder en arrière alors que rien n’a vraiment bougé. Gestes de mes bonjours à la vie qui m’a donné nos enfants.

Il est la clé. Il est ma clé.
Quand nos bonjours se croisent ou se le disent en même temps, d’une même voix presque. Il y a quelque chose à vous raconter de ces matins où, quelquefois, le bonjour se fait l’écho d’un petit pardon de la veille pour un mot de trop, un désaccord, une mauvaise humeur. Il semble nous redire que ce jour recommence notre vie à deux, à construire encore même après plus de 30 ans de vie commune. 😉

Il est la clé. Il est ma clé.
Boulangère du matin, caissière des midis pressés, il ponctue d’une bonne journée ces rencontres du quotidien.
Il ouvre la salle des profs et reçoit en retour d’autres bonjours, des saluts, des coucous Coco même.
Il ouvre mes classes, croise leurs yeux et ose le dire bien fort derrière le masque ce bon jour à venir.

Bonjour.
Ce petit mot de rien est la clé.
Je ne peux m’empêcher de le murmurer en d’autres langues parfois, celle de ma Bible souvent. Je me mets à penser à Joseph, menant sa Marie vers son pays, nourrissant avant même qu’elle ne se réveille la bête qui la portera et portera leurs vivres et regardant le ventre de celle qu’il aime devenu déjà bien rond. Puis, lui dire un bonjour, un bon jour de marche à venir, un bon jour pour avancer sur leur chemin.

Bonjour.
Ce petit mot de rien ne paye pas de mine. On le remarque pourtant, surtout lorsqu’il est absent.
Bonjour amis lecteurs, n’oubliez pas de l’oser en tous lieux en ce temps d’Avent et que ce jour soit bon !

Mots d’Avent

Je viendrai vous les écrire, un à un, jour après jour, simplement.

Il n’y a jamais de grands discours ici, jamais de coups d’éclat.
Il y aura donc des petits mots, de ceux qui font cheminer parfois, peut-être de ceux que Joseph a pu murmurer à l’oreille de Marie sur leur chemin, de ceux que j’entends, de ceux qui m’accrochent, des mots d’enfants – mes préférés, des mots d’élèves qui osent, qui surprennent, des mots qui déroutent, des mots qui rassurent, des mots qui font grandir, des mots qui font aimer.
Je laisserai les gros mots, ceux qui se moquent, qui blessent ou qui font mal. J’oublierai tous ceux qui font les intéressants. Je sais qu’il en est de la sorte. Mon Avent de mots saura les taire.

J’aurais aimé vous les dire aussi, la voix est un joli vecteur qui tisse des liens entre nous, d’une belle manière. Mais le temps, cette année, risque de ne pas me laisser tranquille pour des enregistrements de podcast. Tant pis, parfois, il faut savoir mesurer pour mieux faire. Je m’abandonne pas Pépites et papillotes. Promis, elles reviendront pour une nouvelle année.  😉

Dans l’attente de vous retrouver dimanche, ici, un dernier petit mot…  🙂

Patience.

De la patience.
Je n’en manque pas. En classe, je sais qu’il faut l’avoir, bien ancrée au fond de soi. Non pas pour attendre un miracle, non !… mais parce que grandir prend tellement de temps. Et que jamais il ne faut manquer d’être là pour voir les pas se poser un à un, les progrès sourire heure après heure, les renoncements, les fragilités, les ruptures à accompagner, aussi.

De la patience.
J’en ai. Mon entêtement le sait bien.
Mais quand le calendrier vient flirter près de la fin novembre, quand enfin ce long mois tout gris tout terne s’achève, il y a comme un tressaillement déjà. L’Avent pointe son nez, vraiment. Et il fait tant de bien à être bientôt là.

De la patience.
Au long, tout au long, pour retrouver Sa Joie.

à dimanche 🙂
Corine

Sortie de boîtes aujourd'hui 😉

Quand la brume sera dissipée

Il m’arrive souvent, de l’automne au printemps, de traverser ma route de campagne de la maison au collège le nez dans le brouillard. Il ne s’agit pas d’une métaphore pour un cerveau qui serait embrumé, mal réveillé, ailleurs. Non. Je conduis réellement en presque aveugle, scrutant le tout- devant de l’auto qu’éclairent partiellement ses feux. C’est toujours un peu étrange parce que, malgré tout, je connais la route. Par cœur. Et je ne ressens pas le danger d’une route inconnue dont je ne verrais ni les courbes, ni les croisements, ni les imprévus. Là, je peux presque tout anticiper. Finalement, en plein jour ou voilée de brume, ma route, je la suis, je la sais, je file sans trop m’inquiéter. Pourtant, il m’est arrivé, au détour d’un virage, d’éviter de justesse un danger. Et de me redire attention, la brume n’est pas encore dissipée.

J’ai repensé à cela aujourd’hui. Et là, pardonnez-moi, j’ai joué un peu sur la métaphore. J’ai pensé à ma route embrumée en regardant mon Église. Parce que finalement, je me suis rappelée que je suivais Sa route, à Elle aussi, souvent dans un vrai brouillard. Pas très au clair sur ses statuts, sa théologie, ses doctrines. J’ai même eu plus souvent qu’à mon tour l’impression de m’en ficher, que rien n’était plus important que Dieu et ma Bible, que Jésus et son Evangile et que l’Esprit Saint, mon guide dans tous mes brouillards. Que cette Église, bien humaine, je la prenais de haut.

J’ai bien failli raté le virage, tombé dans les ornières, oublié le roc rassurant et solide sur lequel Elle devait être.
J’ai eu peur de me perdre, de La perdre, ressenti la colère de m’être trompée de chemin, éprouvé ce drôle de sentiment : c’était bien plus qu’un brouillard épais qui L’entourait et je n’y voyais plus rien de beau.

Depuis un mois, Les discussions sur le rapport Sauvé avec mes amis paroissiens, avec mes amis, avec mes proches, mes lectures aussi, ont levé un premier voile. Apprendre, souffrir, prier. Dévoiler.
Ce soir, je lis les communications et résolutions de nos évêques et je crois que je n’ai pas eu tort de prier, d’y croire un peu mais…

Mais, je sais les routes. Les brumes sont tenaces. On croit pouvoir avancer quand même, par habitude, et on oublie que la petite brume n’est pas tout à fait dissipée.

Ma route de campagne embrumée, sinueuse, reste dangereuse et j’y sais bien tous les dangers.
Mon Église n’a pas fini de lever les voiles qui pèsent. Il ne faudra pas que je l’oublie, avec mes amis paroissiens, mes amis, mes proches, avant que les brumes, dans leur entier, ne soient elles aussi dissipées.

Faire-part

Il est un peu tard. J’ai rempli mes cahiers, mon cartable, mes agendas. Demain, je retrouve le collège et les habitudes qui vont avec, toutes celles que j’ai la chance de pouvoir laisser de côté le temps d’une pause parce que je suis prof.

Il est un peu tard. Je retrace les deux semaines qui viennent de s’écouler très loin des médias et un plus près du monde qui m’entoure. C’est toujours étonnant ces heures qui rapprochent et éloignent en même temps.

Il est un peu tard. Ce dimanche a doucement traîné autour d’une table avec les enfants. Ils sont repartis, chacun vers leurs vies, laissant la mienne toujours emplie d’eux.

Il est un peu tard. J’ai rangé la maison.

Sur le bord du buffet, l’enveloppe a glissé.

Je l’ai ouverte à nouveau. Lue et relue.

Caressé le doux du papier.

J’ai revu son sourire et le bord de ses yeux qui brillaient.

Je me suis dit, une nouvelle fois, que la joie était là, avec elle, en elle. Simplement.
Qu’il fallait en faire part de ce petit rien qui donne un peu de baume à mon cœur de maman, de croyante, de femme.

Ma grande fille, mon enfant, se marie dans quelques mois et chaque heure qui passe depuis l’annonce semble faire un pied-de-nez à tout ce qui me blesse, m’attriste, me révolte. Dans l’Église et ailleurs.
Ma grande fille, mon enfant.
Je ne sais pas si tu te rends compte, Jésus, que son mariage à venir, dans ton Église, c’est comme un cadeau qu’elle me fait. La certitude que Tu es là. Tellement là. Encore.

Continuer

Je ne sais pas trop ce que je vais faire de mon Église, je ne sais plus trop.

La phrase a tourné en boucle dans ma tête, les yeux rivés sur mon écran de téléphone à chercher des mots pour l’innommable. Le rapport Sauvé est tombé ce matin, fracassant ce qui n’était plus depuis quelques temps déjà seulement des doutes, dévastant comme un tsunami les Paroles d’un Jésus que je ne cesse de vouloir suivre, bouleversant les fondations d’une Église en qui, un jour, j’ai trouvé une famille.  

Et puis, il y a eu mes cours, mes élèves, des petites joies de mon quotidien de prof.

Je ne sais pas trop ce que je vais faire, je ne sais plus trop.

Chaque fois qu’un cours s’est arrêté, à chaque heure de ma journée, la phrase est revenue. Leitmotiv brisé par des témoignages de victimes cassées à vie, par des chiffres criminels, encore et encore.

Et puis, il y a eu la fin de la journée.
Et ma voiture, en rentrant, a voulu faire un détour. Marie-Jo a 90 ans aujourd’hui. Son Eugène 93. Mes bons vieux amis de la paroisse vivent toujours tous les deux dans leur petite maison. Les aides se succèdent mais ils sont toujours deux, toujours chez eux. Fervents pratiquants, Dieu est là, au cœur de leur vie depuis toujours. Marie-Jo m’a raconté sa tristesse de ne plus pouvoir aller à la messe. “Tu vois c’est compliqué pour me monter dans une voiture, et puis après, il me faut beaucoup de temps pour accéder à l’entrée…Eugène me rapporte la communion quand quelqu’un du quartier peut l’emmener… et puis, je regarde la messe à la télé…mais ce n’est pas pareil, rien n’est pareil. Je me sens un peu délaissée tu sais…”

Nous n’avons pas parlé du rapport Sauvé, ni de l’Église, elle qui pourtant m’a raconté, la voix parfois brisée, de jeunes années trop rudes auprès de religieuses, avant de croiser Eugène sur son chemin.
Nous n’avons pas parler de l’Église mais de la nôtre, petite église de nos dimanches, où elle ne va plus.

” Et si je viens te chercher dimanche ?… si le temps est beau, qu’il ne pleut pas pour que tu ne risques pas de glisser, en prenant plein de temps pour t’installer dans ma voiture, en se garant tout près de la porte avant que le monde n’arrive…on peut y aller non ?”

Je n’avais pas eu le temps de lui faire un cadeau d’anniversaire à ma Marie-Jo ce soir. Pas besoin. L’emmener à la messe dimanche prochain, ce sera plus que ça.

Et puis on a pris un p’tit café. Et avant de partir:
” Tu sais, pour dimanche, je ne veux pas te déranger…”

Oh si elle savait Marie-Jo.
Me déranger.
Ici dans ma paroisse dans tous les temps où je suis, à Lourdes en hospitalité, au collège dans mes classes, chez moi au cœur de ma maison.
Qu’Il vienne encore me déranger ce Dieu d’amour, qu’Il vienne oui.
Qu’Il continue à me pousser à regarder tous les travers en face, à oser ma parole de femme dans mon église, à voir ce qu’il faut dénoncer, à combattre le mal, à ne jamais se taire, à crier les silences lorsque je les entends.
Encore et encore.

Encore.

Je ne sais pas trop ce que je vais faire avec mon Eglise, je ne sais plus.
Ce que je sais ce soir, c’est que Dieu vient me chercher pour continuer. Ici et maintenant. 

 

 

Tous ces silences

 

Je suis restée. J’avais un rendez-vous de parents un peu plus tard. Un à un, les collègues sont partis après une réunion qui s’était déjà attardée.
Je suis restée seule. Ça arrive parfois à l’un d’entre nous, pour un rendez-vous au-delà de ce qui peut paraître la norme parce que les parents travaillent très tard. C’est possible, on a les clés. Le collège c’est un peu comme notre maison.
Il y avait le silence. Même pas le ronronnement de l’ordinateur que je venais d’éteindre. Dans un petit quart d’heure, les parents seront au rendez vous, la routine d’un début d’année pour un élève dyslexique, rien de grave.

Rien de grave.
Le silence du collège.
C’est peut-être ça qui a trotté dans ma tête.

Il y a beaucoup de choses qui trottent dans ma tête en ce moment. Ces choses qui se cognent au rebord sans pouvoir sortir.
J’ai revu son visage, petit visage de petite fille et ses longs cheveux bruns.
Et le sien, à elle, avec ses grands yeux.
Un autre, le sien à lui.
Et quelques autres encore.
Je n’ai oublié aucun des prénoms des élèves que j’ai croisés blessés, meurtris, déchirés, abimés par des adultes tout proches d’eux. Et qui auraient dû les protéger.
Le silence du collège. J’ai toujours cette peur de ne pas voir, de ne pas entendre, de ne pas savoir. Une peur viscérale. Parce que je sais très bien, au fond, qu’au fil des années, je n’ai pas tout vu, je n’ai pas tout entendu, je n’ai pas tout su. 
De ce qui était grave dans leurs vies d’enfants.

 

Je suis restée avec mes histoires d’enfants abîmés à vie. Ceux que je connais bien, ceux que j’ai croisés dans mon métier de prof. Je sais les chiffres qui disent l’ampleur. 
Et les silences autour.

Je suis restée seule.

Et le silence de mon collège vide de leurs vies m’a redit que l’abject est de laisser le silence quand on sait, insidieusement se répandre, gommer les cris, boucher tous les interstices de paroles.
Et le silence de mon collège vide m’a redit que le grave est de laisser les bruits de cour ou d’ailleurs le faire taire, le rendre invisible, l’éteindre pour qu’il ne puisse pas parler.
Au soir, ma prière, petite, minuscule même, aimerait rejoindre tous ces silences d’enfants, les entourer d’un peu loin, pudiquement, pour qu’ils puissent ne plus se taire.

 

Des parfums, des grenouilles et une prière

On métaphore souvent, trop peut-être, sur les parfums de nos vies, le goût des essentiels, la saveur de nos  partages, nos faims à assouvir, nos soifs à étancher. Et quand on met Dieu dans les histoires de nos sens, ça fait parfois de belles homélies de jolis clins Dieu dans ma cuisine.

Fin d’après-midi d’un jeudi qui me laissait un peu de place pour la petite messe de semaine à 18h30, pas si petite d’ailleurs  puisqu’elle est passée en quelques mois d’une dizaine dans la crypte à une bonne cinquantaine, parfois davantage, sur les bancs de l’église du dessus mais c’est une autre histoire. Une vraie soif à étancher. En vrai.
J’y suis, là, entre deux rayons de soleil qui jouent des vitraux juste à côté de moi sur le banc.
J’y suis, avec mes prières pour plein de gens que j’aime et que je garde dans ma tête pour n’oublier personne. 
J’y suis encore au retour de l’Eucharistie avec ma tête qui prie pour chacun et pour tous. Et mon ventre qui gargouille.
Juste là.
Au milieu du silence.
Des grenouilles même pas de bénitier s’invitent à ma fête.

Et j’essaie de faire taire mes entrailles en repensant aux mots du prophète Aggée tiens mais c’est qui lui qui me parle de mon chemin mine de rien.  Que nenni. Ni une ni deux, les grenouilles continuent leur joyeux bazar.
Je crois que j’ai faim. En vrai.

Au sortir, ma voisine juste derrière chouette religieuse très drôle qui n’a rien loupé: ” On dirait bien que Jésus vous a ouvert l’appétit…”
J’ai souri.
Je suis rentrée.
J’ai filé à mes fourneaux.

Les légumes ont vite crépité. Les parfums, le goût, le partage à venir, ma faim, ma soif. Et Dieu y a ajouté son grain de sel.
Tout en cuisinant, ça faisait ce soir une jolie prière, un bout de Sa Parole, un vrai coin de Ciel, juste là.
Les grenouilles se sont tues.
L’essentiel est resté. Une vraie faim joie de vivre.
Dans ma cuisine.

 

Et c’est l’automne

Et c’est l’automne. 
Je pourrais vous dire que je ne vois pas le temps passer entre la rentrée, le collège, les élèves, les masques encore, les cours, le retour des formations, la famille, mes grands enfants, nos parents vieillissants, la paroisse, notre nouveau curé, nos nouveaux projets, les amis, la natation, la marche à pied, la cuisine, les tout ce qu’on fait et qu’on ne dit pas. Je pourrais ajouter le monde, le souci de l’entendre souffrir sans pouvoir rien y changer, les échos sur des réseaux qui souvent m’échappent. Je pourrais vous faire entendre encore les rires sur la cour, les retrouvailles de caté, les phrases trésors de mes classes, les éclats de soleil qui réveillent les murs, la vigne vierge qui rougit en silence, le chat qui ronronne, les feux qu’on aimerait déjà faire crépiter dans le cocon de l’hiver, le froid sifflant qu’on ne souhaite jamais pour personne. Je pourrais dire je n’ai pas eu le temps de venir écrire ici et raconter les clins Dieu. Que c’est déjà l’automne.

Mais non. J’ai le temps. Je l’attrape même à pleines mains quand je saisis tous les instants de ma vie. Je le prends, je le remplis, je le garde. Il peut bien fuir, peu m’importe. Mes cheveux gris, les petits plis au coin de mes yeux, les jambes plus fatiguées certains soirs, les yeux qui piquent de ne pouvoir lire plus longtemps me redisent qu’il est bien là ce temps. Et que je l’ai. Et que je l’aime, pleinement. C’est vrai qu’il semble ne plus s’arrêter depuis que le long été a rangé ses quartiers mais c’est bien cela qui le rend visible. Le temps est là, empli d’audace. Il est bien là, tant qu’il ne s’arrête pas. 
Et chaque matin, dans les mots de ma petite prière, il y a ce merci pour le temps qui chaque jour m’est donné et s’ajoute à mes heures. Au soir, des regrets parfois de ne pas l’avoir assez pris, la joie souvent d’en avoir récolté des bribes.
Et c’est déjà l’automne.