Ces roses, ces gris, la vie comme ça et Lui

On a dit au revoir à nos élèves. Le souvenir de l’an dernier en catimini entre gel, masques et  demi groupe nous a, cette année, donné l’élan et l’audace du possible: adultes presque tous complètement vaccinés, masques tombés à l’extérieur, on a osé organiser des olympiades dans notre grande cour de récré. Chaque classe aux couleurs de l’arc en ciel et du rose à perte de vue. Du rose aux joues, celles qui enfin ont pu se dévoiler. Et de la joie, vraie, simple, sans faux-semblants.

On a dit au revoir à ceux qui partaient ailleurs. Parce que leur vie déménage parfois un peu trop vite, parce que le collège n’est plus l’endroit où ils peuvent vraiment grandir. On aimerait les garder encore un peu alors on s’attarde à bavarder, ils traînent auprès de nous, on leur souhaite bon vent. Et tous, au final d’une dernière sonnerie, reçoivent nos applaudissements: on n’a pas pu s’empêcher de leur faire une haie d’honneur jusqu’au portail de la sortie. Des gris et du rose. Et la vie, en vrai.

Mon retour à la maison, fatiguée, a retrouvé la joie de ma petite famille. Depuis toujours, un resto conclut notre année scolaire. Quand les enfants étaient petits, et puis, on a continué parce que les rituels et les habitudes, c’est un peu mon truc à moi. Et ça tombe bien ce soir, on a pu réserver une table. On file vers la ville, heureux. On trinque. On rit. Je renverse ma limonade maladresse de joie, je m’excuse et le restaurateur me ressert en souriant. Je crois qu’il est heureux lui aussi. On essaie de se redire encore et encore qu’on a de la chance, le rose monte aux joues malgré les gris de nos vies qu’on garde presque en secret pour Lui, petites prières au cœur, pour un frère malade, une amie aussi, un proche tout triste et les ailleurs, gris foncés de noirceur. Nos vies faites de ces deux couleurs, du rose, des gris,  irrémédiablement liées, insolublement accrochées l’une à l’autre, définitivement mêlées à nos heures.

Presque les vacances, bientôt des océans. Mais il y a encore des corrections de brevet, quelques projets à terminer, des réunions pour organiser un septembre qu’on espère normal. Normal ? Il sera fait de rose, de gris. C’est cela la vie. Et jamais, non jamais je n’oublie que Celui qui me donne le ton, la couleur à suivre malgré tout, c’est Lui.

 

Un p’tit coussin

C’est étrange. Je reviens là, écrire, comme si je revenais dans une vieille maison, un peu comme une maison d’enfance. On y retrouve les vieux murs, les parfums, les habitudes. Et tout est là, comme si on ne l’avait jamais vraiment quittée. Merci à celles et ceux qui m’envoient des petits messages. Tout va, tout va au mieux, mais le temps de cette drôle de fin d’année encore me presse et je ne prends pas celui de venir écrire ici.
C’est étrange ce soir mais je reviens là, avec joie.

 

Le temps bousculé a fait son œuvre. Juin a ramené ses sa fraises sans prendre le temps de souffler. Masques, gel, gestes barrières, on a tout attrapé en bloc depuis un an et demi au collège, au collège comme ailleurs mais pour moi, c’est là, au cœur d’une cour de récré et de mes classes, on a tout attrapé en bloc, oubliant presque les heures toutes confinées. Presque. Pas tout à fait. On n’a pas oublié de faire raconter ses vies d’ados heureuses de rester à la maison, protégées des contraintes quotidiennes, celles des horaires, des questions, des profs, allégées par un “oui oui j’ai bien fait le travail demandé aujourd’hui”. On n’a pas oublié ses vies d’ados juste à côté, presque les mêmes, qui ont souffert, elles, au contraire, d’être enfermées, coupées des plaisirs de retrouver les copains et de la bulle d’air que procuraient chaque jour les heures au collège. Le temps bousculé a fait son œuvre et juin garde ses vies aux antipodes, assises côte à côte pourtant, derrière les mêmes bureaux d’une même classe.
Et moi, je jongle avec tout ça.

Le temps bousculé a fait son boulot. Depuis vendredi, juin a autorisé leurs sourires en grand sur la cour de récré. On a fait tomber la barrière. On a fait tomber les masques. On découvre leurs visages en entier. J’avais presque oublié que leurs frimousses n’étaient pas qu’une moitié de visage. Qu’il y avait un nez à retrousser, une bouche derrière leurs voix. Une bouche pour rire, bouder, sourire encore, répondre, crier. J’ai peine à en reconnaître certains. Et puis, il y a ceux qui ne changent rien, qui ne font rien, qui n’osent pas encore. Ils gardent le masque. L’impression de se retrouver à découvert peut-être. Et ce petit surtout, qui derrière le tissu, se cache.
Et moi, je jongle avec tout ça.

Le temps bousculé a continué. Les réunions tardives à ne plus savoir finir et dont on se passait fort bien ont repris. On s’était habitués à se retrouver aux creux des après-midis ou derrière un écran. Il paraît que certains n’auraient plus très envie de sortir de leurs maisons, plus très envie de retourner au bureau, l’amie psychologue me fait part de son inquiétude grandissante à croiser des gens qui ne savent plus se parler lorsqu’ils se retrouvent côté à côte, en vrai. Et pendant ce temps, d’autres ne cessent de dire qu’ils revivent, comme s’ils avaient arrêté de vivre, accrochant aux terrasses de café l’impression que la vie c’est ça. Sans doute oui.  C’est ça la vie. Et il va falloir vivre avec toutes ces nouvelles différences, toutes les écouter, ne rien gommer dans la facilité.
Et autour de moi, on jongle avec tout ça.

Le temps bousculé continue. Je ne sais plus très bien de quel temps je suis. Le soleil, la chaleur puis la pluie, la tempête. Même la météo semble perdue cette dernière semaine. Tempête ? De celle qui bouscule les certitudes. Et dans cette tempête, vous vous rappelez ? Vous l’entendrez peut-être demain: celle-ci.

 

Je n’oublie jamais son petit coussin à Lui.
Je crois que j’ai un peu le même dans mes tempêtes, quand je jongle avec la vie en entier. 

Quand tout a été bousculé dans ce temps, je me suis rendue compte qu’un petit bout de ma vie n’avait pas bougé.
Pas changé d’un iota.

Un coin de prière tout petit. Avec un petit coussin sous mes genoux qui prient.

Non pas pour atténuer le dur de cette Terre, non pas pour me reposer, non. Mais pour être en douceur un peu plus avec Lui.
Les impossibles du monde et ma confiance en Lui. Et je jongle avec tout ça.

 

De l’eau, simplement

16h00. Elle a frappé à la porte. J’ai dévalé l’escalier. Je n’attendais personne mais j’aime vraiment les visites improvisées de mon mardi-bureau-maison-sans-cours qui me sortent de mes préparations, de mes copies, de mes bouquins. Souvent, il y a un p’tit café qui va avec.
16h00 et quelques secondes. Ses cheveux gris maintenant, ses yeux pétillants, son corps un peu penché sur une canne, Marie a trois ans de plus que moi et traîne son cancer depuis plus d’un an. Chimio terminée, ses beaux cheveux sont là. Elle me sourit.
Marie.
Voilà plus d’un an que je ne l’ai vue. Nous ne sommes pas amies vraiment, nous nous aimons bien. Parfois vous savez, je ne sais plus trop définir l’amitié, je ne sais pas bien les bords, les limites. Peut-être bien que Marie est mon amie. Elle a été ma collègue il y a pas mal d’années dans un remplacement dans mon petit collège avant de reprendre ses études et de s’attaquer au concours. Réussi. Même passion que moi pour les lettres classiques qui l’ont ensuite menée vers d’autres lieux. Elle est restée vivre dans notre petite ville préférant faire la route pour aller enseigner à Angers.

Voilà plus d’un an que je ne l’ai vue et elle frappe à ma porte, un mardi de mai, comme ça.

Je voulais te voir. 

 

16h15. Un petit quart d’heure et on a déjà beaucoup parlé. Et sourit. Il est des partages qui remplissent, doucement, un vide qu’on ne savait pas là. C’est étrange.
16h15. Je sais l’heure parce que j’ai regardé ma montre. Une réunion m’attendait au collège à 17h.

Tu sais on va préparer enfin une rando à Bellefontaine. Mais j’ai encore plein de temps, ce n’est qu’à 17h, tu veux un p’tit café ?

16h et je ne sais plus très bien. Je n’ai plus regardé l’heure.

Non, de l’eau, simplement.

Pas de café, Marie ne prend plus de plein de choses qui faisaient sa vie avant mais son sourire, encore, son sourire tout le temps.

Et tu vas comment dis ?

Doucement mieux… Les soignants, extra. J’ai appris beaucoup. Tellement. Tu sais combien j’aime apprendre…

Je sais.
On a parlé. On a écouté.

16h45. Elle a regardé sa montre cette fois, s’est levée doucement.
On ne s’est pas embrassées. Mais on a souri, mes yeux dans le pétillant de ses yeux. Comme si on s’embrassait.

 

Je n’attendais personne mais j’aime vraiment les visites improvisées de mon mardi-bureau-maison-sans-cours qui me sortent de mes cours, de mes copies, de mes bouquins.

Marie a frappé à ma porte, on a partagé un verre d’eau, simplement.
C’était plus que bon. 

 

La maison s’est vidée doucement

Dimanche. La maison s’est vidée doucement. Je retrouve mon bureau. Ils sont partis les uns après les autres rejoignant leur maison, un autre repas d’une autre famille, leurs études. Je retrouve ma semaine à organiser, les appréciations de mes élèves à déjà compléter, les derniers cours à ajuster. L’esprit n’est pas tout à fait là encore, le café brûle un peu, le cœur est ailleurs. J’entends leurs sourires, les mots doux, les éclats de rire, leurs voix qui chantent. Les temps ensemble sont toujours fait d’inévitables séparations. Je ne suis pas triste. C’est même plutôt l’inverse. Je suis à nouveau remplie d’eux. Mes enfants.

Je me souviens d’il y a quelques années, les années de leur enfance, de leur adolescence, les années pleines d’eux où, parfois, aux soirs des week-end trop remplis, j’ai rêvé d’un peu de solitude pour lire, écrire, travailler, souffler aussi. Et combien aujourd’hui je sais qu’il est bien plus facile pour mon quotidien de les savoir grands mais que rien ne change au fond: ils tiennent toute la place. Je suis toujours remplie d’eux, de leurs joies, de leurs peines. Mes enfants.

Dimanche. La maison s’est vidée doucement. Le petit mari est parti lui aussi reconduire Marie. Et à l’heure où j’écris ces mots, je suis seule. Même les chats m’ont quittée, plongés dans leurs rêves où je suis certaine que les enfants ont une belle place. Je souris. J’aimerais qu’à l’instant ce qui remplit ma vie puisse aller au-delà répandre la joie. On aime tous croire que le bonheur ne tient qu’à ça, à pouvoir le partager. Je rêve encore. J’ai ouvert le journal tout à l’heure. Je sais bien le monde. Il ne m’empêche pas d’être heureuse, il me pousse juste à croire encore, avec plus d’entêtement que de naïveté, que dire la joie c’est comme teinter les jours d’un peu de joli, et que ça ne s’efface pas.

Dimanche. La maison aime le silence. On dirait qu’elle prie. Le vent, seul, fait vibrer l’espace. La vigne vierge danse à ma fenêtre. Le clavier s’arrête. Qu’est ce que cela veut dire parler à Dieu ?
Peut-être que dans un petit merci je peux oser sourire aux demains. Et être remplie d’amour.
La vigne vierge caresse le ciel.
Je crois qu’Il m’entendra.

 

Un petit oui

Je me souviens comme si c’était hier de la veille de ce jour-là.

 

Il y a 27 ans, le 29 avril, c’était un vendredi. Je le sais car le lendemain, le samedi 30 avril, à 11h30, je me marie.
Je l’écris au présent parce que je ne peux pas l’écrire autrement. Je crois que ce jour-là n’appartient pas à mon passé, à notre passé. Je sais que le 30 avril, depuis 27 ans, c’est au présent que nous le vivons.
Mais, jamais, non jamais, je ne me glorifie de ces 27 années comme si je les dressais en étendard. C’est vrai que j’aime compter les années parce que le nombre commence à faire “important” mais je préfère, dans ce nombre-là, y lire et y relire l’addition de tous nos mercis et surtout de tous nos pardons. Tous nos pardons. Non, pas de vaine gloire à croire à une victoire. Il n’y a rien à gagner ou à perdre. Il y a à vivre seulement.

 

Il y a 27 ans, le 30 avril, je me marie.
Et chaque veille, je repense à la joie. Oui, il n’y avait que de la joie. Et je m’étais même dit, je m’en souviens bien, qu’une mariée stressée ce jour-là, oh non, ça se voit tellement sur les photos ! Je ne voulais que des sourires. Il n’y a eu que des sourires.

Et un sourire, encore plus particulier, adressé au 30 avril trois ans encore plus tôt. Il y a 30 ans.
Le 30 avril 1991. Vers 19h30, la copine Val était passée à mon appartement. J’avais déjà quelques copies à corriger et décidé de m’y mettre pour en être “débarrassée”. Et nous étions mardi de toute façon, elle me connaissait bien Val,  j’évitais les sorties sur semaine.

– Mais demain c’est le 1er mai ! Tu n’as pas de cours, tu pourras corriger ! Allez viens donc, tout le monde est là, on se retrouve et Luc vient avec de nouveaux amis !

Je ne sais pas ce qui m’a décidée. La perspective du lendemain férié qui c’est vrai me donnait du temps, le soleil du printemps qui nous invitait à nous retrouver – la bande de vieux amis- en terrasse de café, les sourires de Val – sûrement – ou le “nouveau” que j’ai cru entendre dans sa voix.

20h30. Je l’ai rencontré là. Un 30 avril.
Il serait mon mari 3 ans plus tard. Un autre 30 avril.
Et 27 ans encore plus tard, je serai en train de parler de nous sur un petit blog. Un presque 30 avril.

Et c’est là qu’il y a quelque chose qui me dépasse souvent.
Parce que si la veille de mon mariage, je m’en souviens très bien, la veille de ce jour d’il y a 30 ans, pas du tout. Comme si mon histoire commençait là aussi, avec lui.

Sans rien oublier du passé, mon histoire est bien celle d’une femme qui depuis 30 ans est devenue l’amoureuse, devenue l’épouse, devenue la maman et en vieillissant, devenue celle qui mesure la force des pardons, la force des mercis, la force d’un petit oui.
Un petit oui, murmuré  – un 30 avril –  pour vivre. Ensemble.

Prie-Dieu

Peut-être bien qu’en cette fin de journée remplie de cours, d’ordinateur, de vidéos, d’élèves, de questions, de réponses, de mots et encore et encore, peut-être bien qu’il y avait dans la confection de ces petits gâteaux pour demain ce truc. Ce truc qui, à chaque fois, ressemble comme deux gouttes d’eau à une petite prière.

 

Elle a remercié Dieu pour la joie de retrouver mes collègues en mesurant la farine.
Elle a demandé encore un peu de courage en cassant le chocolat en tout petits morceaux.
Elle a espéré que la motivation soit toujours là pour mes élèves. Malgré tout. Et en cassant les œufs.
Elle a aussi demandé pardon pour tous les ratés. En mélangeant bien vigoureusement la pâte.

Je crois que j’aime cuisiner pour ça aussi. C’est mon endroit pour penser à Dieu et quand je pèse, je pétris, je mélange, j’assaisonne, je rectifie, je saisis, je cuis, je goûte, Il est là.
Je lui parle.
Parfois même, je serais pas loin de m’agenouiller devant certains plats tellement bien réussis, avec Lui.

Ma cuisine, c’est mon prie-Dieu.

De la joie, ce presque rien

Dieu doit aimer ces petits dimanches qui flirtent avec la joie, l’embrassent tendrement et la font danser au fil des heures.

 

Le soleil a frappé au carreau, tôt. J’ai descendu quatre à quatre les escaliers d’un matin de dimanche que j’aimais déjà avant qu’il ne commence. La cuisine, la table à dresser, la famille, la messe et l’ami. Il y a des jours où les mots qui donnent du bonheur au quotidien s’enchaînent sans trébucher. C’est étrange, il y a des jours où c’est le contraire, les maux se déchaînent. La vie c’est vrai, de rose et de gris, toujours.
Mais ce dimanche, c’était du joli, je l’ai senti dès le café tranquille, siroté à la porte qui ouvre vers le jardin. Le doux aussi, je l’ai attrapé pour le poser sur ma table du déjeuner, au creux des belles assiettes, entre les verres qui danseront un peu en se frôlant, puis dans la cocotte qui se préparait à mijoter, qui réservait encore ses saveurs, et même sur le rose de mes joues dans le miroir. Il est des matins où la joie me rend un peu plus jolie je crois.

Le soleil a continué à me faire de l’œil. Avant la porte de l’église, Jehane a partagé avec moi le début d’un Notre Père dans sa langue, fière de mes premiers mots en arabe que j’arrive enfin à retenir. La musique nous a invités à entrer.
Les confirmands de la paroisse accueillis aujourd’hui sont là, les jeunes musiciens mettent déjà un feu de joie et je croise leurs regards: quelques-uns de mes élèves. On se salue, ça fait du bien de les voir ces quatre-là. On se raconte un peu ces drôles de vacances encore. Et S. qui m’arrête un instant encore avant son “à bientôt”… “Madame, la confirmation vous savez, ça va bien comme suite, comme chemin… après Martigné où vous nous aviez emmenés en 5è.”
Des mots comme un merci. Tout revient en mémoire. Plein soleil. 

 

Le soleil, jeu des vitraux, se pose souvent en un rayon complice sur l’autel, juste à ce moment-là. Berger. Je revois un instant celui rencontré dans les Pyrénées, un soir de randonnée. “Un berger, c’est un peu comme un passeur. Il montre le chemin, il fait simplement passer du bon côté.” J’écoute mon pasteur-passeur. Il est des mots qui aiment jouer ensemble. Soleil brûlant.

 

Le soleil, à la maison, dans les regards, dans les mots, dans les rires. L’amitié doit avoir une place quelque part à côté des premiers soleils du printemps Elle a la douceur de ses rayons qui osent s’attarder un peu, elle réchauffe sans jamais brûler, elle anime, elle fait vivre, elle est toujours là.
On savoure et le repas et la vie et le temps. Et l’avenir qu’on dessine aussi avec ma grande fille qui fait résonner le mot mariage l’espace d’un appel téléphonique. Soleil écran total.

 

Le soir l’efface du ciel, doucement. Le soleil disparaît, lentement. Et la joie demeure.
Simple, sans folie, sans excès. Mais elle remplit mon espace et me répète que la vie, comme elle est, me donne envie de l’aimer. D’aimer.

Demain, je vais retrouver le chemin du collège, avec mes collègues, sans élèves mais ils seront là bientôt.
Demain, je vais croiser Isabelle, mon amie infirmière qui me racontera ses heures difficiles.
Et viendront les amis de la paroisse, les voisins, la famille, les amis,
et tous ceux que je connais bien, ceux que je connais moins, ceux que je connais pas encore. 
Et je sais que dans chacune de mes rencontres la joie sera là. Ni naïve ni mièvre mais profonde, presque sérieuse même, oui, sérieuse de savoir qu’elle ne vient pas de moi, qu’elle est bien plus grande encore.

C’est Sa Lumière qui donne de l’éclat à ma vie. Profondément.

Ce soleil, celui que Dieu doit aimer pour que ces petits dimanches flirtent avec la joie, l’embrassent tendrement et la font danser au fil des heures.
De la joie, ce presque rien.

Sur le bord de la fenêtre

Oraison – Intrusion de la lumière, visite d’un rayon. Ne pas bouger, ne rien loger en soi d’encombrant de peur de l’apeurer.
François Cassingena- Trévedy, Étincelles

 

On dirait que le temps s’est arrêté de courir. 

La farine a laissé quelques traces sur la table de la cuisine, ça sent bon le beurre salé, le gâteau dore doucement dans le four.
Il n’y a pas de gourmandise, pas seulement, pas vraiment. Plutôt la joie de rassembler les enfants autour de ma table et de partager les petits desserts de l’enfance. Les vacances aiment donner ce goût-là.

 

La lumière, ces derniers jours, envahit notre maison par les fenêtres nouvellement nettoyées. Et chaque après-midi, les rayons caressent les meubles comme s’ils voulaient être eux aussi de la partie. Le dehors est froid encore mais la lumière, elle, réchauffe.
Je n’ai pas très envie de bouger.
Les voyages se font lectures, nombreuses. Les heures creuses remplissent mes cahiers. Le corps trouve son espace dans les grands ménages de printemps. Et au cœur de ma cuisine. 

 

Le gâteau est prêt. Je vais le laisser refroidir sur le bord de la fenêtre. J’ai appris cela petite, tout en surveillant si quelques amis à pattes ne seraient pas eux aussi attirés par les parfums. Alors, le temps de ce temps semble tout arrêter.

On dirait qu’il reprend son souffle. 
On dirait qu’il sait à nouveau regarder. Prier peut-être. Sourire, oui.

 

La table est propre. Le gâteau à peine tiède désormais.
Le temps reste en suspens, accroche à ses heures mes prières pour le monde.

Je ne cours plus, je ne m’agite pas en tous sens. On dirait même que j’ai un peu peur de faire trop de bruit, trop de mouvements.

On dirait que le temps d’un gâteau au bord de la fenêtre laisse à l’espace une petite place pour prier.
On dirait que le temps d’aimer est là, à nouveau.

 

 

Une petite route, un chemin de vie et une fromagère

Il y a des jours avec un peu plus de soleil.

Une petite route, ma petite route, mon chemin d’habitudes qui part de la maison et rejoint le collège. Neuf kilomètres de campagne vallonnée, de soleil dans la vue, de musiques et de podcasts dans les oreilles. Neuf kilomètres de sourires. Au bout il n’y aura pas d’élèves mais des collègues venus travailler là, et moi qui viens récupérer la plante de ma classe avant un collège fermé pendant les vacances. Et on s’attarde à bavarder, à raconter un peu notre semaine, à se dire à bientôt. Oui, à très bientôt.

Une petite route, ma petite route, mon chemin d’habitudes qui repart du collège vers ma maison. Moins de dix minutes de jolies vagues jaune colza qui côtoient les ondulés de verts et les ombres des bois. Au bout, il y aura ma maison, un chemin de vie peut-être, un chemin de vie oui. J’ai tant parlé sur cette petite route, tant rêvé, tant prié, pleuré parfois. Et je m’attarde à me raconter les jolis instants, ceux à venir surtout.

Une petite route, ma petite route, mon chemin d’habitudes qui avant de rentrer s’arrête chez Augustine, c’est le nom du magasin d’Amandine, le prénom de la grand-mère de cette jeune commerçante installée depuis un peu plus d’un an avec son sourire, son dynamisme et sa passion pour les fromages. Et on s’attarde à bavarder, à me raconter le gouda aux orties, le parmesan aux parfums d’une Italie tant aimée – ah Florence, vous connaissez ? Et la Toscane, oh… Et ce vieux comté de 30 mois qui vient d’une rencontre qu’elle a faite avec un fermier du Jura un jour de randonnée. Il faudra que je raconte tout ça dans mes pépites, c’est sûr.

Une petite route, ma petite route, mon chemin d’habitudes qui ouvre la porte, les bras chargés, le cœur rempli, qui grimpe les escaliers. Il est 17 heures et alors. On peut prier à n’importe quelle heure. Une petite route, ma petite route, mon chemin d’habitudes qui court Lui dire merci, doux petit temps des bras d’une Bible toujours posée là. Vous savez qu’une Bible c’est toujours les bras de Dieu grand ouverts ?

” Avez-vous ici quelque chose à manger ? ”
Et c’est l’heure du soir, déjà, petit chemin de mes habitudes, de mes partages, de ma cuisine. Jésus m’y invite.  

Il y a des jours avec un peu plus de soleil.

 

 

La mort, la vie, Céline et les shortbreads

C’est un peu étrange aujourd’hui. J’ai retrouvé mon cahier de 2020. Ce n’est pas vraiment un journal parce qu’il y a un peu de tout dans mon cahier, il y a un peu de tout dans  mes cahiers, des recettes, des prières, des morceaux de vie, des idées. J’ai retrouvé la journée du 7 avril. Un mardi confiné. Un mardi de cours confiné qui attendait des vacances confinées.

C’est un peu étrange le temps. Ce temps. Ma tante Catherine nous a quittés entre ce  jour d’avril et celui d’aujourd’hui et on apprend aujourd’hui que tonton Jean a ses jours comptés. Depuis un an, la mort avec ce virus imprime chaque jour. On ne s’habitue pas. Mais la mort imprime nos vies de toutes les façons. On ne s’habitue pas à la mort.

Je me demande parfois si mon amour de la vie m’aide à apprivoiser la mort. On n’apprivoise pas la mort. On la tient à distance. Même ma petite prière je crois met un peu de distance entre Son ciel et le mien.

C’est un peu étrange. J’ai allumé ma playlist “Céline Dion” aujourd’hui. Je l’aime bien. Il y a des chansons qui me font du bien je crois. J’aime tant la vie et je parle tout le temps de la mort, enfin souvent. Toute petite, déjà. Toujours. On ne change pas. Céline chante  dans mes oreilles et c’est la vie qui reprend.

Je me demande parfois si mon amour de la vie m’aide à apprivoiser la mort. On n’apprivoise pas la mort. On la tient à distance. Même mon regard au ciel je crois met un peu de distance entre là-haut et ici.

C’est un peu étrange. J’ai sorti la farine, le sucre et le beurre. J’ai envie de cuisiner, j’ai besoin de cuisiner, très souvent. Peut-être que ça rend vivant la cuisine, non ? J’ai pétri la pâte, repensé à Jane et Mila, aux paysages gallois que j’aime tant, j’ai façonné mes shortbreads en suivant leur recette, en rêvant d’Écosse aussi, ce devait être le voyage de l’été 2020, ce sera un jour prochain, forcément. La vie reprendra. C’est étrange. On n’est pas morts et on dit la vie reviendra. 

Je me demande parfois si mon amour de la vie m’aide à apprivoiser la mort. On n’apprivoise pas la mort. On la tient à distance. Même mes petites recettes je crois veulent mettre un peu plus de distance entre la fin et moi.

C’est un peu étrange aujourd’hui. Un jour comme un autre pourtant. Avec la mort et la vie. C’est mieux dans ce sens là non ? Et puis, Céline fredonne encore dans mes oreilles et mes shortbreads sentent bon. Tellement.