Rien qu’un petit Clin Dieu

L’église était pleine ce matin et si je dis à craquer je ne mens pas mais rentrée du caté et rentrée paroissiale, ici, ça rime avec joie et puis ça réunit les enfants, leurs familles et les paroissiens plus habituels. Chez moi, ça fait du monde, une église pleine à craquer quoi.
L’église était pleine ce matin et les tout-petits nombreux pendant le temps de liturgie adaptée qui leur est proposé.
Ce matin, même si on sortait de l’église pour se retrouver juste en face dans une salle du centre pastoral, on avait décidé d’en parler de cette église. Le bâtiment hein parce que la majuscule avec eux c’est un peu compliqué.

Quoique.

On avait étalé sur notre table un chouette dessin d’église avec plein de trucs vraiment, à regarder. Les paroles des grandes sections ont fusé. Sur ce qu’y faisaient les grands dans cette église: “prier” “chanter” “chanter fort” “et danser un peu” “s’asseoir” “se mettre debout” ” s’asseoir sur des bancs” “se marier” “faire des baptisés” ( ce sont leurs mots je vous les laisse tels quels ) “et il y a le prêtEEE” ( la petite a insisté sur la dernière syllabe, même après correction de son voisin qui a lâché son pouce pour la reprendre, peine perdue).
On avait fait le tour et de “la table où y a les petits ronds que les grands mangent” “mais c’est pas des ronds mais des hostiiiies” ( ici ce fut la voyelle grandement appuyée), “les fenêtres pleines de couleurs” et “la bougie rouge toujours allumée” quand  j’ai dû dire un mot dans le genre “c’est chouette les enfants parce que vous savez tout ce qu’on fait dans l’église”. Alors, une voix a lancé – relancé plus exactement, je croyais bien l’avoir entendue au début:
“On y fait rien, c’est bien.”
Il a souri.

J’ai souri aussi.

Et je suis restée avec ce “rien”.

Pas celui qui délaisse, qui oublie, qui fainéantise même. Non, il y avait dans ce “rien” comme le résumé de tous leurs  petits mots: on prie, on chante, on danse un peu, on mange Le Pain. Rien qui ressemble à un travail, rien qui ressemble à des jeux, rien de nos ordinaires qui “font”, mouvements de nos vies, de leurs vies si petites, sûrement déjà bien agitées.

Je suis restée avec ce “rien”.

Un rien comme le silence précieux de nos têtes, de nos vies, de nos cœurs qui dans l’église, quelques petits instants d’un dimanche, savent encore prendre le temps de s’arrêter.

Je suis restée avec ce “rien” le midi à partager un repas de rentrée paroissiale puis un peu de temps à discuter.
Nous sommes repartis, chemin à pieds, main dans la main, à se redire le bon d’une Église, celle qu’on connaît ici, celle qu’on anime, celle qu’on aime aussi, petite paroisse au cœur d’un diocèse dynamique.
Et nos copies joyeusement retrouvées ont rempli notre fin de journée. Et ça, ce n’était pas rien.

 

Jusqu’à il y a un instant, ce petit message en forme de quelques mots sur mon écran de téléphone.
“Merci de ce temps ce midi avant le repas, merci de cette jolie conversation, c’était rien, enfin pas grand chose …mais c’était bien et ça m’a fait du bien.”

 

Puiser

Longtemps, j’ai cru que seuls les vieilles personnes, les religieuses, ceux qui vraiment ont du temps y allaient.
Un peu plus tard, de toutes les  façons, c’était impossible parce que 18h30, c’était l’heure du bain de mes petits.
Après, c’est devenu l’heure de leur filer un coup demain pour leur recherche avec madame Machin qui demandait la veille pour le lendemain un truc à trouver dans l’internet si les parents voulaient bien.
Plus tard,  ce fut le moment où on se posait parfois sur un bord de lit pour causer un peu. Ce n’est pas toujours si simple de grandir.
Et puis, ils ont grandi et il n’y a plus eu vraiment de raisons pour que 18h30-le-jeudi soit occupé, sauf quand il y avait conseil de classe mais c’est pas tous les jeudis.
Alors un jour ou plutôt un soir, un jeudi soir, je me suis dit pourquoi pas.

Je ne sais plus il y a combien de temps. Ce que je sais c’est que j’ai eu l’allure un peu idiote, moi qui vais quand même à la messe le dimanche, l’allure idiote de chercher l’entrée de celle-là.

La p’tite messe de 18h30 dans la crypte de l’église, l’autre église, pas celle du dimanche.

Je m’en souviens très bien même. J’ai attendu de voir si quelqu’un venait et je l’ai suivi. En fait, c’était quelqu’une. Même qu’elle m’a souri en me disant qu’elle venait tous les jeudis. Forcément, elle a compris que j’étais là pour la première fois. J’ai compris ce jour-là que ça devait pas être très fastoche le premier pas dans une église parce que quand même on est un paquet d’habitués. On les repère un peu les nouveaux. Et  même si on leur sourit un max, ils ne se sentent pas chez eux tout de suite, pas très à l’aise parfois.

Elle m’a souri un max quand je me suis assise là, sous la voûte de tuffeau. C’était beau.
Après, c’était une messe, une petite messe de semaine, ça, je savais.

 

18h22 ce soir, j’y file, allez. Depuis la rentrée, mes jeudis soirs avaient été bien occupés ici et là.
18h23 ce soir, ces copies qu’ils viennent de me rendre, hâte de les lire quand même…
18h25, ce soir, enfin allez, j’y retourne.

La crypte, sa lumière. Le Christ, son bois brut que j’aime à regarder.
Les amis, une petite vingtaine ce soir.
Notre chouette curé François. Ses mots. Nos prières.
Sa paix.

19h01. On s’est dit bonsoir, bon courage ou bonne fête. J’ai murmuré merci aussi.

 

Longtemps, j’ai cru que seuls les vieilles personnes, les religieuses, ceux qui vraiment ont du temps y allaient. Maintenant, quand je peux, je ne la loupe pas ma p’tite messe de semaine. Je ne suis pas si vieille, encore moins religieuse et je n’ai pas toujours le temps. Mais c’est comme si …comme si Jésus me donnait un peu plus de son amour ces soirs-là.
Non… Ce n’est pas ça.
C’est moi.

C’est Son amour.
J’y puise davantage.

Ces petits…

“Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits…”

Un jour, il y a longtemps déjà, un prêtre m’a dit: “Tu reviens me voir quand, dans les évangiles, tu auras trouvé le visage de Jésus qui te parle, te touche, te remue, t’interroge, te donne envie d’avancer…que sais-je… reviens quand tu auras trouvé “ton” visage de Jésus.”

J’ai parcouru les lignes, j’ai cherché, j’ai tourné les pages, on peut voir la pliure de certaines encore que j’ai cornées.
J’ai hésité, plusieurs paroles me touchaient, beaucoup me parlaient.
Je me suis arrêtée sur ses mots.

“Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits…”

J’ai enlevé un peu l’autour, je n’ai gardé que le petit enfant.
J’avais un peu plus de 20 ans.

30 ans plus tard, je me rends compte que si d’autres paroles m’ont touchée depuis, si je puise encore chaque jour dans la Bible et découvre sans cesse au détour d’un mot un autre que je n’avais pas encore remarqué, si j’essaie de me nourrir de son Verbe, inépuisable source, je me rends compte que ces mots-là, moins de dix mots en vérité, ces mots, oui, ont construit ma vie.
D’un foyer que je voulais bâtir autour d’enfants, les miens sont venus. D’un métier que j’ai choisi pour être avec les plus jeunes, les élèves sont là. De mes choix de partages en atelier d’écriture ou en paroisse, les enfants toujours au premier rang. J’ai fait de tous “ces petits” le beau de ma vie. Ou plutôt non. Ce sont eux qui ont rendu et rendent encore ma vie plus jolie.
Je crois même que j’ai tellement d’amour pour cette Parole que je manque souvent d’humour – c’est dommage – à leur sujet et qu’il est rare de me voir sourire lorsque circulent des blagues de potache sur les “bêtises” des enfants ou des jeunes. J’ai toujours peur que le mépris s’empare des mots.
Mais c’est sans doute un autre sujet.

Si ce billet s’écrit ce soir, ce n’est pas à cause de l’évangile de demain. Pas tout à fait.

 

C’est une phrase, retenue depuis vendredi, dernière heure, caté avec mes collégiens. La sonnerie avait déjà retenti.
– Mais vous, pourquoi Jésus est votre ami ?
Ma réponse est venue trop vite. C’est après qu’on médite, souvent.
– Parce que grâce à Lui, je suis là, avec vous.
– Comment ça grâce à Lui ?
– Je ne sais trop comment te dire…

Je n’ai pas vraiment eu le temps.

“Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits…”
Il faudra que je leur dise.

Et puis ça aussi:
“On va le chercher le visage de Jésus qui vous parle, vous touche, vous remue, vous interroge, vous donne envie d’avancer…que sais-je…”

 

Octobre déjà

Le chanteur l’a soufflé, le vent fera craquer les branches. Les poètes ont joué de toutes ses nuances avant lui mais c’est bien de l’écouter encore, d’écouter cet octobre qui bruite nos pas dans l’allée, qui annonce qu’on est bien là. Il y a dans l’octobre qui vient le goût de l’automne qu’on aimerait retarder un peu. La douceur, les orangés qu’on regarde émerveillés, le soleil endormi oui, mais le triste aussi. Le triste des jours trop courts pour y ranger tout ce qu’on aime. Tous ceux qu’on aime, j’ai failli l’écrire presque. Le violon d’Elise le jouait, elle encore petite, aujourd’hui on y pose un peu de rose. Peut-être pour éclater les gris. L’amie nous y invite, octobre des femmes, on hésite un peu, il y a pourtant dans cet octobre rose la volonté de faire une course pour la vie, pas contre la montre, on y sera  à ton octobre pour poser un peu de rose sur tes joues trop pâles.

Le chanteur l’a osé, la brume viendra dans sa robe blanche. Clin d’yeux de l’ami de Jérusalem qui m’envoie la photo d’un désert doré, aux pierres orangées comme les feuilles de mes chênes, bientôt, embrumé d’un matin sans frontières. La douceur des souvenirs d’un voyage. Deux ans déjà. Hâte d’un retour là-bas. Clin Dieu.La joie des jours qui courent, qui comptent encore les heures pour ajouter un autre voyage. La chanson de Marie la disait petite, octobre c’est elle, aujourd’hui on attend ses 20 ans. On s’y invite, on n’hésitera pas à traverser la mer, la brume blanche ne nous arrêtera pas, il y a dans nos chemins la volonté de faire d’octobre un mois plein de vie, pour nous, on se retrouvera.

Le chanteur l’a écrit, y aura des  feuilles partout couchées sur les cailloux. J’aimerais lire dans les évangile les saisons. Et leurs couleurs surtout. J’aimerais savoir les automnes de Jésus, connaître ses parfums, retrouver sa lumière. J’aimerais poser mes mains près du feu de Joseph quand il y apportait les copeaux de son bois. J’aimerais voir Marie préparer le pain quand elle attendait qu’Il revienne à sa table. Il y a dans les soirs d’octobre mes prières familières qui semblent les connaître. Il y a mes mots tout simples qui Te disent merci d’ajouter à l’automne un peu du jour encore, il y a mes sourires silencieux qui essaient les pardons, il y a mes mains qui regardent un instant le ciel avant de fermer tous les volets.
Devant le monde qui s’incline.

Octobre déjà.

 

Oh et puis… l’image a vieilli mais c’est bon à écouter. 🙂

 

https://www.youtube.com/watch?v=4otD9PUSU2E

Aller simple

Elle aimerait bien déjà rester au fond de mes poches
Elle n’a plus très envie de sortir son nez au grand air, il pleut
Le temps tout moche la pousse à rentrer bien vite, et puis les cours, les collègues, les élèves,  la stagiaire, les projets de paroisse, les projets tout courts, la famille, toute cette vie, pas le temps de s’attarder
S’emmitoufler, se camoufler, le douillet elle aime assez
Quand vient l’heure de s’agenouiller, elle confie les proches, les amis, ceux qui malades attendent sa visite, les élèves celui-là déjà à côté
Elle se dit c’est déjà ça, c’est beaucoup, elle se réchauffe, elle se rassure,
Elle sent bien pourtant, au creux de tous ses mots, qu’il va falloir reprendre le foulard, le ciré, le café,
Mettre ses pieds dans des pas moins confortables
Ouvrir la porte
Lever le nez
Oser regarder
Les rues, les autres, mes prochains

Elle aimerait bien déjà rester au fond de mes poches
Mais  dans le verbe aimer, il y a cet aller simple
Allez! Va petite prière, va !

Ça doit être le soleil

J’avais tout préparé avant. Le menu, quelle nappe, j’aurais même le temps de couper les derniers hortensias encore bleus. La cuisine dans cette toute fin d’après-midi de septembre sentait presque le parfum des vacances. Ça doit être le soleil. Il a sorti une bonne bouteille. Il a ouvert en grand, redonné un petit coup d’aspirateur au-dedans des murs si souvent enfermés. J’ai dressé la table, déposé mes fleurs. J’ai  souri. Parfois je souris en regardant la vie, celle que l’on touche à fleur de peau, celle qui ne fait pas de bruit, celle qui ne se rend pas intéressante.

J’avais pensé à tout avant. Les questions que je lui poserai encore, les projets, on aura le temps de parler de Dieu. Evidemment. Le repas, c’est drôle un repas. On est bien ensemble et on dirait que toutes les paroles sont possibles en vrai. Presque toutes. Puis on oublie ce qu’on avait prévu de se dire, ce n’est plus si important, l’essentiel est là de toute façon dans le fil de nos mots, dans nos silences aussi. On est d’accord dans un sourire, et on ne l’est pas avec des paroles qui jamais ne font mal. Jamais.

Il est reparti à pied, la nuit était déjà là, depuis longtemps. Ce n’est pas parce qu’il est prêtre que j’ai pensé à Jésus, oh non; c’est parce qu’il est notre ami. Et je crois que ça devait ressembler à ça l’amitié avec Lui. On a laissé un peu la porte ouverte, accompagné l’ombre au détour de la rue. Il est tard et il fait bon encore ce soir. Ça doit être ce soleil.

 

Au matin encore tôt, les miettes à balayer, le vent frais a réveillé doucement l’espace et les mots auxquels on repense, c’est étrange, on dirait qu’ils  restent un peu eux aussi autour de la table. Il a repassé un petit coup d’aspirateur. J’ai souri. J’ai souri de ce monde qui me dit comment je devrais faire, quelle femme je devrais être, ce qu’il serait bon de penser. J’ai souri parce que c’est la vie qui me le dit. J’ai fredonné “besoin de personne”, allumé ma playlist. Jean-Jacques a repris “filles faciles”. Les chansons parlent toujours mieux que moi. Surtout quand il fait beau. Ça doit être le soleil.

 

Et je me suis dit que c’était sûrement ça, un  ami qui vient s’asseoir à notre table, c’est le temps qui s’arrête, qui se repose, peut-être même qui se donne une raison d’être. Et puis cette joie là, discrète, qui n’a rien de l’éclatant d’un extraordinaire instant, non, mais qui nous rendrait presque meilleur. Oh… mais ça doit être le soleil.
Juste le soleil.

 

Ma petite douzaine

Ma petite douzaine. Je leur ai déjà trouvé ce petit nom. Je n’ai pas osé davantage.  😉

Douze c’est peu, au milieu des plus de 90 de leur âge, douze à oser, douze cette année. Douze à emmener faire un bout de chemin de caté.
Bien sûr on laissera notre porte ouverte, peut-être qu’au fil des vendredis, d’autres oseront. Douze c’est peu. Douze quand même.

Petit collège, “catholique” écrit quelque part dans son histoire, sur son fronton comme une simple volonté d’être là pour tous, universel au milieu d’un petit bout de campagne qui même si elle remplit davantage qu’ailleurs son église le dimanche, ne va plus beaucoup au caté.

On ne va plus au caté, on ne va plus à l’église mais je crois bien que Dieu est dans leurs vies autrement. Comment ? Pas de réponses toute faites mais ces sourires, ces mains tendues, ces idées pour être là, pour aider, ces silences en forme de petite prière ça doit bien compter non ?
Comment ?

F., du haut de ses presque douze ans, a peut-être raconté un bout de ce comment vendredi.

” J’allais au caté quand j’étais petit…je faisais même un peu le bazar, je n’aimais pas ça, je m’en fichais…la messe, quand on y allait je trouvais ça long, ça ne me faisait rien à part m’ennuyer. Et puis il y a eu cette année-là où j’ai perdu cinq membres de ma famille. Cinq la même année.”

Mes onze écoutaient.
On peut la voir parfois, l’apercevoir du moins, la véritable écoute dans leur tête juste penchée, dans leurs yeux qui attendent, dans leurs mains qui s’arrêtent.

“Cinq…on se dit ce n’est pas possible. Voilà. Je ne sais pas trop mais après tout ça, je me sentais bien quand on allait à l’église. Après oui, j’ai bien aimé venir au caté.”

Mes onze écoutaient encore. Le silence encore.
Et puis l’un d’entre eux a pris la parole.

” Alors, ça te faisait du bien ?”

” Oui. Mais autre chose aussi… ça me disait surtout des mots qui font du bien.”

 

Ma petite douzaine. Je leur ai  trouvé ce petit nom. On a commencé la route ensemble vendredi.

On a déjà fait un joli bout de chemin.

 

 

 

Nos petits cartons déballés

C’est peut-être à cause du petit carton de vaisselle à peine déballé un brin désolé déposé à l’entrée de son appartement.

Hier, je me suis rappelée que dans chaque déménagement, dans chaque emménagement, il y avait là aussi une petite part de nos renoncements. Redondance au matin en entendant l’évangile : suivre le chemin de nos vies c’est souvent conjuguer le verbe quitter. Pas simple ce chemin, pas un simple chemin de disciples. Jésus nous parle à chacun, à tous, tout au long de nos vies.

C’est peut-être à cause de ce petit carton.
Samedi, nous avons à nouveau emménagé notre grand fils de retour de l’étranger pour ses deux dernières années d’étude. Je me suis rappelée au sortir du bac, le petit serrement de cœur de les voir partir l’une, l’un, l’une après l’autre et en même temps – intensément – la joie de les voir grandir, de les croire heureux. Un départ très prochain de notre “petite” dernière pour l’étranger encore à vivre. Chemin de maman, chemin de parents à savoir qu’ils sont là pour nous quitter.
Il y a dans chacun de leur déménagement un peu de nous qu’on laisse.

Et se souvenir de nos premiers départs, ceux qu’on n’a pas choisis, enfant. Nouvelle maison, nouvelle ville parfois. Il y a dans mes classes chaque année ces jeunes élèves qui arrivent d’ailleurs. Des histoires de parents parfois compliquées, des histoires de vie poignante, de belles histoires aussi.
Il y a dans chaque déménagement un peu d’eux qu’ils ont laissé.

Et repenser à notre premier appart’. Le premier chez soi loin des parents, loin de la famille. Je me souviens très bien du mien. Je pourrai encore le dessiner les yeux fermés. L’impression d’être enfin dans sa vie et non plus dans celle de ceux que l’on aime et que l’on quitte. Sentiment étrange de grandir sans en avoir toujours vraiment envie.
Il y a dans chacun de mes déménagements un peu de moi que j’ai laissé.

Et regarder notre maison, notre foyer, celui qu’on construit. Que l’on veut pour toujours. Notre maison a 10, 20 puis 30 puis 40 ans… C’est beaucoup et en même temps on le sait bien que chaque pierre posée est une construction de chaque jour. Ce n’est pas une image d’Épinal ni de jolis mots répétés ni des phrases en l’air. On le sait trop bien quand on le vit qu’un couple se construit et pas en un jour, pas en un mois, pas en un an. Je pense aux amis séparés, foyer démoli après tant et tant d’années, et me souviens encore plus vivement de leurs déménagements.
Il y a eu  dans chacun de ces cartons déballés un peu de nous qu’on a laissé.

Nos départs, les derniers, le dernier. Je repense à Mado rentrant à l’Ephad, j’entends Marcel refusant jusqu’au bout d’y aller. J’admire souvent un vieux couple ami “encore chez eux.” Je ne sais quand viendra l’heure.
Il y aura bien dans ce dernier voyage un peu de nous qu’on laissera.

 

C’est peut-être à cause de ce petit carton de vaisselle. Fragile. À peine déballé, un brin désolé, déposé à l’entrée de son appartement.
Il y a dans chacun de leur déménagement un peu de nous qu’on laisse.
Il y a dans chaque emménagement un peu de nous qui espère.

Nos petits cartons déballés, un brin désolés, déposés. Prêts à vivre, à revivre – encore.

Dessin ©Toutembal

 

 

 

C’est peut-être ça la rentrée

On dirait que chaque chose retrouve sa place. L’une après l’autre. C’est peut-être ça la rentrée.

Les jours d’abord. On les sait maintenant, on les sait par cœur, on ne s’aventure plus à un mais quel jour on est ?  L’emploi du temps a repris ses droits lui aussi, ses cours, ses pauses. Il n’y a plus vraiment les on verra demain qu’on s’autorise quand rien n’est urgent. Les jours se déclinent à nouveau comme la litanie immuable du temps. Les heures à l’horloge sonnent désormais. C’est peut-être ça la rentrée.

Les crayons. C’est drôle, les crayons aussi semblent avoir compris. Ils ont quitté la table basse où ils griffonnaient des mots croisés, oublié les lignes bleues des lettres, celles qu’on avait le temps d’écrire encore à l’amie. Ils ont regagné le bureau, la trousse, le cartable. Ils ont rejoint le sérieux de l’étude, des copies, des cours. Les crayons organisent à nouveau l’espace de l’agenda. Leurs mots disent la vie un peu autrement. C’est peut-être ça la rentrée.

Les élèves. C’est curieux, les élèves ont retrouvé leurs places exactement. Ils se sont installés derrière les bureaux presque trop sagement. Ils n’ont pas oublié c’est heureux que la cour gardait leurs courses et leurs souvenirs de jeux mais même là, ils ont retrouvé leur place. Celui qui ose, celle qui attend, celui qui écoute, celle qui parle, celui qui se moque, celle qui crie. Les élèves affichent qui ils sont, cherchent qui ils veulent être. C’est peut-être ça la rentrée.

Mes prières. Comment mes prières pouvaient-elles être ailleurs, à une autre place que celle que je connais par cœur. Comment ont-elles oublié l’espace d’un été les chemins d’habitude. Comment retrouvent-elles avec septembre le tôt des matins, le fond de mes poches au long des journées, mes larmes des soirs fatigués. Mes prières savent elles aussi que leur place est le plein d’une tête qui ne cesse les pourquois, le creux d’un coeur qui ose vouloir aimer. C’est peut-être ça la rentrée.

Et moi. Je retrouve ma place. Celle où j’ai laissé mon empreinte, celle qui me dit qui je suis. Entre les murs d’un collège, par-delà les murs d’une maison, autour des murs d’une église. Là où être à sa place veut aussi dire vivre. C’est peut-être ça la rentrée.