Ce qui restera

Il y a quelque chose de curieux dans mon époque, quelque chose que personnellement je vis curieusement. Des tas de bouts de vies et d’avis et d’envies qui s’affichent sans cesse sur mes écrans. Des vies proches parfois pour un temps et le temps virevolte et le temps passe, infidèle, oublie, disparaît. Le plus souvent ce sont des vies lointaines voire inconnues qui, l’espace d’un instant, d’un clic, d’un hasard s’approchent de moi et semblent même faire partie de ma vie à ce moment-là. Et tous ces bouts de vies et d’avis et d’envies s’emmêlent me laissant cette curieuse impression de mieux connaître le monde. Ou plutôt de ne rien connaître du monde, finalement, parce que souvent en les lisant je me sens bien loin plus loin tellement loin de tous ces bouts de vies, ces avis, ces envies. Cette toile qui tisse des fils accroche un lien parfois c’est vrai je l’avoue au détour d’un partage le garde un peu le défait le dénoue presque aussi vite et. Que reste-t-il au fond ?

 

Il reste la vie.

 

Chris a posé son petit cadeau sur la table. C’est un tout petit truc de rien tu sais. J’ai souri aux  chocolats.
Il y a chaque été ce temps pour nous retrouver. Son ami à lui – l’homme de ma vie- son ami depuis 34 ans. 34 ans, bien avant moi. 34 ans, une vie.
Mes amis aussi. Oh… on ne tient pas les comptes, il ne s’agit pas de cela. Ce n’est pas seulement un compte d’années qui compte en vérité et puis, Chris on ne la connaît pas depuis très longtemps, quelques petites années seulement pourtant qu’est-ce qu’elle compte. Ce n’est pas le compte d’années qui fait l’amitié, un peu quand même oui je sais il faut du temps, mais il y a bien autre chose on le sait. Mais quoi ? Ce n’est pas qu’une histoire de vraies vies de partages de temps il y a tant de vraies vies il n’y a que ça et de partages ailleurs qui ne feront jamais l’amitié. Alors quoi ? Et nos mots, nos sourires, nos délires et nos bras qui nous embrassent. Et se racontent pendant des heures et des heures nos bouts de vies nos avis nos envies nos vies qui tissent des fils et des liens. Que restera-t-il au fond ?

 

Il restera la vie.

 

Il y a toujours ce moment où l’on rit où l’on joue où l’on est même un peu fous puis cet instant soudain qui s’installe dans nos silences. Cet instant où nos brûlures se racontent. La mort de son fils. Chris nous dit qu’elle se demande si elle croit elle ne sait pas elle n’a pas l’habitude de parler comme ça mais elle espère il y a une chose qu’elle espère c’est le revoir son garçon son petit son grand un jour. Un jour.
J’espère que je le reverrai un jour.
Il y a nos silences encore et nos voix qui se taisent  autour de la table et si je pouvais les dessiner je les tracerais sur les murs entre nous tous ces fils invisibles que je vois ces liens qui nous relient nous retiennent nous attachent nous aiment. Le jeu de cartes s’est arrêté. Chris qui ne sait pas si elle croit en Dieu nous dit encore j’espère qu’on se reverra, qu’on se reverra tous. Après. Parce qu’on s’aime non ? Bon, on se la fait cette troisième partie ? Et nos vies continuent.

 

Il restera la vie. Ces p’tits grains de sel qui nous la font aimer.

 

C’est peut-être cela qui reste au fond. Ceux avec qui je veux mon éternité.

 

Le dernier rayon avant le soir

On gardera ce rayon de soleil, celui qui venait toucher la pointe des pieds, le dernier rayon avant le soir, celui qui nous disait qu’on avait encore le temps de lire quelques pages allongés sur le vieux sofa.

 

Il y a encore un peu de temps, celui qu’on se garde jusqu’à la toute fin. 16 août ça respire encore les parfums d’été mais ça n’en a déjà plus vraiment le goût tu sais. Et ce matin-même appelait mes pas vers une réunion pour nos tout-petits du dimanche. On ne s’est pas racontés les vacances, on était peut-être déjà dans cet autre temps. Bien sûr qu’il y a encore un peu de jours à ne pas regarder sa montre, enfin pas trop, pourtant notre calendrier s’est rempli de préparations septembre octobre novembre oh… l’Avent commence le 1er décembre mais on a encore le temps.

 

Il y a encore un peu de temps, celui qu’on se garde jusqu’à la toute fin. 16 août mon bureau a rangé ses crayons et ses pots. Les cahiers, les classeurs et l’écran d’ordinateur affichent des tableaux. Et cet après-midi mes mains ont écrit toutes les idées, remis en forme les projets. Je n’ai pas oublié les vacances, je les écris encore sur des cartes postales qui vont bientôt leur répondre. Bien sûr qu’il y a encore un peu de jours à raconter la Belgique et l’océan et les amis, pourtant mon agenda se remplit de rendez-vous de dates à ne pas manquer septembre octobre novembre oh… je vais l’aimer encore cet Avent mais on a bien le temps.

 

Il y a encore un peu de temps, celui qu’on se garde jusqu’à la toute fin. 16 août ma pile de lectures est presque terminée, celle que j’avais gardée pour l’été. Les policiers de Qiu Xialong m’ont perdue dans une Chine que je connais pas et ce dépaysement m’a plu. Et puis il y a eu ce Calvino redécouvert et trois nouvelles lectures de Sylvie Germain, la tant aimée,  le dernier Gaudé, de vieilles BD et  ces quelques autres, les spirituels – je souris en l’écrivant – oui, les spirituels, ceux qui pensent l’essentiel et qui me font juste du bien. Bien sûr qu’il y aura encore des lectures les scolaires de septembre octobre novembre oh… et la petite liste de décembre à écrire mais on aura tout le temps.

 

Il y a encore un peu de temps.

Je garde le rayon de soleil, celui qui vient toucher la pointe de mes pieds, le dernier rayon avant le soir, celui qui me dit que j’ ai encore le temps de lire quelques pages allongée sur le vieux sofa. Avant la rentrée.

Environ trois mois

Petit matin du 15 août.
Il y a tout ce qu’on a dit et tout ce qu’on a écrit sur la visite de Marie à sa cousine Elisabeth.
Et puis il y a ça. Environ trois mois.

Je me suis souvent demandée ce que Marie avait bien pu faire auprès de sa cousine pendant environ trois mois. Derniers mois de grossesse pour l’une, premiers pour l’autre. Je me le suis souvent imaginé même, et ce matin encore bien davantage. Aide, refuge, voyage secret… à l’heure où le moindre petit fait de nos vies s’étale pour gonfler nos egos, Marie, elle, aux plus grands instants de la sienne, ultime oui, s’est tenue à l’écart, discrète. Cette visite ressemble bien à un doux refuge. Elle s’est fait plus petite encore celle qui portait Dieu en elle.

Ça ne m’a pas quittée de la journée ces trois mots. Et ces trois petits mois environ. Je suis comme ça quand il y a un truc qui me trotte dans la tête, ça ne me quitte jamais. Marie à se lever la nuit pour calmer l’inquiétude d’Elisabeth, Marie à prendre sa place à la cuisine parce que sa cousine trop fatiguée devait se reposer, Marie à rassurer son amie tout ira bien il ne peut en être autrement et puis les heures à partager cette première grossesse entre femmes, celles à questionner les demains, et ces instants à poser  sur la tête de sa presque sœur un linge frais, caressant d’une autre main sa tempe, pour la rassurer dans l’enfantement. Marie s’oubliant pour se faire toute proche.

 

On a tracé la route dans la Bretagne encore, Marie  dans un coin de ma tête. L’autoradio a lancé un vieux disque de Balavoine qui a bizarrement loupé les trois premières plages pour démarrer sur “Mon fils, ma bataille”. Je la connais encore par cœur celle-là. Marie, un peu loin, est revenue d’un coup. Il lui allait bien ce titre de variété, son Fils, sa bataille ?  Ça m’a fait sourire. Clin Dieu ?

On a déambulé. Il n’y avait rien qui parlait de Marie dans nos rues. Des vacanciers encore, ceux d’un jour seulement peut-être, des transats, des glaces, un manège, le férié affiché sur cette porte justifiant qu’elle soit fermée. Tiens, Marie un peu là sans le vouloir. Je me suis retournée à cet instant. Passage étroit. Elle voulait avancer, ventre rond en avant. Pardon… je prends de la place. Oh non…je lui ai laissé le passage. Plus qu’un mois ! Ça m’a fait sourire. Clin Dieu ?

On est rentrés. Quelques nouvelles sur un écran machinalement allumé. Quelques images d’églises, une procession. Le journaliste explique. L’Assomption. J’entends des dates, un dogme, on ne parle déjà plus d’elle. J’éteins. Un sms quelques minutes, juste après. Je suis à la grotte avec Elle et je t’embrasse. L’amie hospitalière est à Lourdes. Ça m’a fait sourire. Clin Dieu ?

 

Petit soir d’un 15 août.
Il y a tout ce qu’on dit et tout ce qu’on écrit. Et puis il y a ça. Ce presque trois mois d’une présence d’amie, de maman, de femme.
Il y a tout ce qu’on dira et tout ce qu’on écrira encore. Et Marie, toujours là, dans un coin de ma tête. Une amie, une maman, une femme.

Une page blanche pliée en quatre

Peut-être que la lettre est arrivée hier. Je ne suis pas sûre mais en vacances, on oublie parfois d’aller chercher le courrier ou on y pense soudain au creux de l’après-midi ou même tard en soirée au moment de refermer les volets. Tiens mais on n’est pas allés chercher le courrier aujourd’hui. On oublie parce que les habitudes ne sont plus là, plus tout à fait. Peut-être que la lettre est arrivée hier car hier on a oublié le courrier.

Il a posé l’enveloppe sur mon bureau. C’est toujours comme ça qu’il fait, il ne dit rien comme s’il voulait me laisser la surprise de découvrir les surprises. L’enveloppe toute simple, blanche, celle qu’on achète par paquets de 100. Mon nom et mon adresse écrits au stylo bille bleu, ce bleu des mers du sud qui sait poser un peu de rêve autour des mots parfois. Je n’ai pas reconnu l’écriture ronde mais j’ai su que c’était une élève. J’ai retourné l’enveloppe, pas d’expéditrice. J’ai vite ouvert en déchirant doucement avec mon pouce.

Une petite page blanche pliée en quatre.

Des lignes au crayon de bois à peine effacées pour écrire bien droit, quelques fautes mais peu, une rature transformée en cœur pour cacher la rature, et des mots. Des mots tout simples qui redisent le chaud de juillet et une virée à la piscine municipale, les deux semaines chez mamie de l’autre côté du bourg pendant l’hospitalisation de maman et sans doute deux semaines avant la rentrée encore, un pas de vacances cette année mais ce n’est pas si grave parce qu’il y a le jardin de mamie avec les chats, les lapins et des poules, il est grand ce jardin il y a même une petite cabane pour être tranquille et lire parce qu’il y a les lectures.

Des lignes au crayon de bois à peine effacées et devenues bavardes. Des lectures surtout. Celles que je lui ai laissées pendant les vacances parce qu’au moment de ranger la classe le dernier jour, les livres que je dépose au fond pour les temps libres, ils pouvaient aussi les embarquer pour leur été. Elle a été la seule à en prendre. Les autres étaient déjà ailleurs. Elle a été la seule. Je peux en prendre plusieurs ?

Des lignes sur les lignes au crayon de bois à peine effacées pour me raconter ses lectures. Un petit mot pour les personnages aimés et des ronds rose pâle pour toute critique avec la légende. Un rond c’est pas mal, deux c’est bien, trois j’aime beaucoup, quatre j’adore. Une petite liste de six livres. Six petits romans quand même. Et ce post- scriptum écrit en toutes lettres parce qu’on a appris l’origine latine et que c’est plus joli écrit en entier. Un post-scriptum  en forme de merci.

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Post-scriptum: je m’inquiétais de mes vacances à la maison mais en fait avec vos livres, ça va vraiment bien. Il m’en reste encore quatre.

 

Je les quitte en juin en leur souhaitant toujours un bon temps de vacances. Je sais bien le joli chez certains, l’ennui chez d’autres, je savais le difficile pour elle. Parfois je reçois une petite carte de bord de mer, un chemin de montagne ou une petite page blanche pliée en quatre parce que toute l’année on a écrit on peut continuer un peu pendant l’été pourquoi pas, alors une fois, deux fois, trois fois, parfois davantage, je sors ma plume à mon tour pour un merci en attendant de nous retrouver. Et je les retrouve en septembre mais je ne leur demande jamais rien sur leurs vacances. Le difficile ne se raconte pas.

 

Une petite page blanche pliée en quatre. Des lignes au crayon de bois à peine effacées. Elle me parlera peut-être de ces quatre dernières lectures et ce sera bien.

 

 

Grains de sable

J’ai marché les pieds dans l’eau, longtemps.
J’ai laissé mes pas s’enfoncer pendant que les vagues rampaient tout devant. Et j’ai marché encore. Il faisait trop froid pour se baigner mais les pieds nus à retenir la mer entre mes orteils ça c’était drôlement bien. J’ai remonté la plage, traversé le sable humide puis le sable sec, devenu frais avec le soir. Je tenais mes sandales dans une main, leurs brides semblaient danser au vent. Mes pieds aussi je crois. Puis ils ont ralenti sur la bande minérale juste avant l’escalier de bois qui ramène au bord du chemin. J’aurais pu remettre mes chaussures mais il y avait comme un jeu d’enfance à poser chaque pas doucement sur les reliefs, à trouver les plus lisses des galets, à appuyer lentement la pointe du pied puis la plante puis le talon pour avancer. Tu sais ça ne fait pas si mal, il suffit de prendre son temps. Puis les planches de bois douces et tièdes doucement grimpées, le sentier, là, oui là, il faut s’arrêter. Il y a un bout de rocher qui ressemble à un banc, à droite. Les fesses posées dessus depuis des générations ont même creusé comme un siège. D’une main, j’ai dépoussiéré les grains de sable sous mes pieds et glissé mes orteils dans les sandales.
J’ai repris la route, il y avait encore quelques petits grains, rien de bien méchant, c’était comme si je sentais sous mes pas un reste d’océan.

On est rentrés. J’ai quitté mes sandales et des petits grains de sable ont glissé sur le tapis. Il faudra aspirer demain matin.
Il y a eu le doux de la lecture qui m’attendait, celle allongée sur le dessus de lit, les pieds en l’air, croisés, à frotter doucement des petits grains collés encore à ma peau.

 

Et le matin est venu. Les grains de sable sont restés sur le tapis.
D’autres petits grains avaient eu le temps de se glisser dans les interstices de notre temps. Une urgence, puis une autre, de l’inquiétude, rien de si grave, les aléas de nos vies simplement.
Il faut rentrer.

 

On est revenus. J’ai repris la route, il y a des grains de sable, rien de bien méchant, ceux qui nous savent vivants et qui se glissent entre nos heures, celles qu’on avait prévues, et les retardent, et les bousculent, et les attristent, et les consolent.

 

C’est rien, ça ne fait pas si mal, il suffit  de savoir le temps et le grain de ses heures.

Est-ce que ça vaut la peine ?

Le grand plateau de nectarines rapporté des courses traîne sur la table depuis plusieurs jours. Une grappillée pour un dessert, l’autre le temps d’un petit creux, on en a même utilisé quelques-unes pour une jolie coupe de glace d’été. Mais il semble qu’il en reste toujours autant et les dernières…ah les dernières ! C’est déjà un peu trop tard pour les attraper en gourmandise: leur chair s’est amollie, et en certains endroits, le fruit trop mûr est meurtri. Il faudrait en faire des confitures. Un, deux… allez cinq fruits, j’aurai un pot, pas davantage. Est-ce que ça vaut la peine…

La plus grande casserole, celle du temps des confitures aux fraises remplacée par une tout petite, la plus petite qui réchauffe parfois le café quand on a trop bavardé et qu’il est resté à attendre dans sa tasse. Un peu de sucre roux, de la vergeoise même, parce que pour un pot, on peut bien s’accorder cette douceur. Bientôt, le couteau enlève la peau sans écorcher le fruit, puis entre dans la chair juteuse pour la découper en morceaux. La petite casserole réduit le mélange sur le feu, je cherche mes pots, un seul, un seul suffira. Un petit coup d’œil, la précieuse confiture a diminué de moitié, il est temps d’écumer. Est-ce que ça vaut la peine…

Décidément les pots habituels sont trop grands, en remplir un à moitié paraît déjà ridicule. Une grosse demie heure passée et si peu. Pour si peu. Un grand verre de cuisine suffira, un grand bleu clair, ce sera joli. Il faudrait une étiquette quand même. Un pot, même un seul qui n’est pas vraiment pot, sans étiquette, ça ressemble à tout sauf à une confiture. Je vais l’écrire sur une étiquette d’écolière, à l’encre violette, comme toujours. Je m’applique comme une petite fille. Est-ce que ça vaut la peine…

Le verre est plein, joliment doré. Il faudra attendre que la confiture refroidisse et ce tissu aux petits carreaux comme avant, avec un élastique, sera parfait pour la protéger.
Le verre est plein, joliment décoré. Et son parfum embaume déjà la cuisine. Il est 17h00. Déjà. Une heure passée. On pourrait faire des crêpes ce soir pour la confiture ou du pain perdu, tiens, ça fait longtemps. Un grand verre bleu pas si grand finalement, à quoi bon le garder ?
Et puis ce verre plein est si joliment parfumé.

 

Le temps qu’on prend pour les petites choses, infiniment petites, sans tellement d’importance que celle de rendre la vie un peu plus douce, ça vaut la peine. Toujours.

 

On ne m’a pas appris à prier

“Seigneur, apprends-nous à prier…”

C’est drôle cette Parole du jour, je la trouve toujours un peu étrange, presque dissonante. Non pas que je ne comprenne pas la demande ni son bien-fondé – enfin je crois la comprendre – mais plutôt parce qu’elle ne me rejoint pas. Pas vraiment.

On ne m’a pas appris à prier.
On m’a montré des possibles oui: Les mains, les paupières, les genoux même. On m’a suggéré des moments: le soir, avant de se coucher. On m’a fait réciter le “Notre-Père”, décortiquer chaque mot pour ne pas l’ânonner sans savoir, répéter l’histoire de cette prière dans tous les évangiles. On m’a même offert des livres exprès. Et rien n’y a fait. Je n’ai pas appris à prier.

Je crois intimement que prier ça ne s’apprend pas. Plus exactement, je crois qu’il n’y a pas de recettes…encore moins de bonnes recettes.
Même si l’éveil à la foi des tout-petits ou le caté m’entendent raconter le coin prière, la bougie, le silence, le temps qu’on prend à notre temps pour parler à Dieu, je ne suis pas dupe. Ce n’est pas un truc ainsi fait, clé en main, Notre Père qui es au Cieux et hop l’affaire est bouclée.
Je ne sais pas leur apprendre à prier.

On n’apprend pas à prier. On cherche seulement.
Les regards partagés au bord d’un trottoir, les mots criés en silence, les sourires qui feront des rides et tant mieux, les mains tendues si souvent difficiles à ouvrir, les pardons murmurés et ceux qu’on ne dira jamais, les mercis qu’on ose à peine, ceux qu’on n’ose plus, les questions sans réponse, une chanson sous la pluie, un bord d’océan à perdre ses yeux dedans, l’absence de nos mots pour dire, les pages pour l’écrire, le silence.
On cherche seulement à Te parler et à oser cette confiance insolente. Confiance insolente de croire que Tu es là et que Tu nous aimes.

On ne m’a pas appris à prier.
Je n’ai que ça. Croire insolemment que Tu es là et Te chercher.

 

 

Ouvrir les portes

Il s’est passé seulement trois jours et comme l’impression d’une éternité.

20h30. Le fils était près de terminer sa journée de boulot d’été. On a entendu le vent souffler, presque d’un seul coup comme un réveil brutal après une longue léthargie. En l’espace de nos bras pour les ouvrir, les volets ont laissé entrer le vent dans toutes les pièces de la maison. Le dehors au dedans faisant même valser quelques feuillets posés là. Le dedans au dehors poussant très vite mes pas dans le jardin. Pieds nus sur une herbe trop sèche, le nez au ciel à scruter un horizon joyeusement menaçant, j’ai souri.

20h40. Les voisins tour à tour, sur le pas de leur porte, leurs pieds nus dans leur herbe sèche. On s’est assis sur le rebord de nos maisons. On s’est donnés des nouvelles. Les futilités du temps tout d’abord. Puis les vraies nouvelles, celles qui font des bouts de nos vies. Pendant trois jours, je les avais presque oubliés recluse au frais des murs à dévorer des lectures, après le seul tôt du matin où mes pas se risquaient au bord d’un peu de fraîcheur.

21h00. Le fils avait dû achever sa journée d’usine brûlante, celles dont il se réjouit qu’elles ne soient qu’estivales et qui poussent peut-être encore davantage à mesurer sa chance de pouvoir étudier le reste de l’année. On a parlé de nos enfants un peu et certains ont déjà partagé leur joie d’être grands-parents. On s’était un peu oubliés depuis l’hiver et les départs de chacun. Le vent  a soufflé plus fort, nos voix aussi pour nous entendre, on s’est rapprochés un peu.

Il s’est passé trois jours et comme l’impression d’une éternité.
On s’est dit bonsoir. Ce n’était pas seulement la fraîcheur, le souffle du vent, la pluie même qui m’avaient manqué. On s’est dit bonsoir et je me suis souvenue qu’ils existaient. Les autres, les proches, les prochains. Ceux qu’on oublie enfermés dans nos conforts, à l’abri de ce qui pourrait nous brûler d’un peu trop près.

21h20. Le fils est rentré. Le dîner a raconté encore la vie. On a souri.

 

Je me suis dit que demain je partirai pour ouvrir d’autres portes.

Refuges

Il fallait se réfugier.
Il faut parfois prendre le temps de se réfugier.

 

Je suis rentrée de voyage et avant de reprendre la route pour goûter au repos des bords de ma Bretagne, je me suis posée dans ma maison d’ici.
C’est drôle.
On dirait que mon bureau m’a attendue sagement pendant mon absence. L’agenda, l’emploi du temps pour l’année à venir, les mails de ma nouvelle stagiaire. Ceux de ma jeune nouvelle collègue aussi. Tous mes pots à crayons, mes quatre couleurs, mes plumes, mes mines à colorier. Rien n’a bougé d’un iota. On dirait que tout attend que tout recommence. Sur un nouveau cahier, j’avais eu le temps d’agrafer une nouvelle progression d’année, le temps de gribouiller quelques titres de nouvelles œuvres que je ne manquerais pas de leur faire découvrir, le temps de souligner un nouveau projet. Le mot “nouveau” s’est inscrit partout comme si tout l’était. Déjà.
Mais une fin de juillet c’est encore trop tôt. Il faut me réfugier loin de mon métier encore un peu pour emmagasiner les soleils d’un été.

 

Je suis rentrée de voyage et avant de repartir goûter au monde bien loin des écrans, je m’y suis posée un instant.
Ce n’est plus drôle.
Mon fil d’actu ne m’a pas attendue pendant mon absence. Il continue à balancer tout ce que l’homme peut faire de plus moche en matière de mots, d’insultes, de bêtises. Je l’aime bien cette petite Greta qui a tout d’une grande, non pas seulement pour ce qu’elle ne cesse de me répéter mais parce que ses 16 ans sont à eux seuls l’intelligence de la jeunesse, celle qui ose, belle, sans fard. Elle n’est pas seule, je le sais. J’aurais bien voulu leur dire que j’en connaissais d’autres Greta moins populaires mais toutes aussi actives. Mais au fond, peu importe. Elle n’est pas seule, c’est l’essentiel. Je les vois, je les entends, je les côtoie aussi parfois ces jeunes et je sais qu’ils ne sont pas du vent.
Mais une fin de juillet c’est encore trop tôt. Il faut me réfugier loin des réseaux encore un peu pour respirer la vie iodée et tellement vivante d’un été.

 

Je suis rentrée de voyage et avant de repartir dans mes romans policiers, je me suis posée dans ce livre-là. C’est drôle. On aurait dit que les pages m’attendaient depuis longtemps. Il y a des livres qu’on ne lit pas puis un jour, on les ouvre. Par hasard, parce qu’il est temps, ou pourquoi pas. De Calvino, j’ai presque tout lu pourtant, par amour des fables, des contes, des nouvelles. Des nouvelles oui. Il m’a beaucoup appris. Mais Marcovaldo, je ne le connaissais que par quelques extraits seulement. Le livre m’a emportée. Comme un refuge dans lequel s’abriter.

 

Il se baissa pour attacher ses chaussures et regarda mieux : c’étaient des champignons, de vrais champignons qui étaient en train de pousser au cœur de la ville ! Marcovaldo eut le sentiment que le monde gris et misérable qui l’entourait regorgeait soudain de richesses cachées et qu’on pouvait encore attendre quelque chose de la vie, en plus du salaire horaire contractuel, des contingences, des allocations familiales et de l’indemnité de transport.”

 

 

“Encore attendre quelque chose de la vie.”

 

Je me suis réfugiée dans l’espace de ces sept mots.
J’y ai logé mon métier de prof à aimer et faire aimer encore, un monde tout gris à tenter de sauvegarder et d’y mettre le Beau, des rencontres qui feront grandir, mais oui, mais si, sans aucun doute.
J’y ai logé un peu de Dieu, aussi. Refuge de tous les mots qui me disent La vie, comme un filigrane qui se répète et me sourit.

Seul celui qui est en vie peut encore attendre quelque chose.”

 

Petite pause (5)

Étrange étranger

C’est étrange une grosse semaine à l’étranger. Pas si loin mais l’étranger quand même. Sept heures et des poussières de routes et voilà, c’est la perte de presque tous les repères de langue, d’habitudes, de quotidien. Il suffit de peu.

L’étrange surtout, c’est parce que je pense souvent que c’est facile de croire en Dieu. Oui, facile. Là aussi, il suffit de peu: c’est facile de le mettre au cœur de ma vie, tout le temps. Facile, ne vous méprenez pas ! … Non, pas facile dans le sens de suivre sa Parole facilement, la faire mienne, la comprendre vraiment, non,  mais c’est facile de penser à Lui, de Le lire, de Le prier, de Lui parler, de garder Ses mots au creux de ma poche comme au creux d’un cœur bref, de Lui faire une petite place dans mon quotidien. Oui, ça, pour moi, c’est facile.
Et puis, il suffit de partir une grosse semaine à l’étranger à quelques heures de la maison et tout n’est plus aussi simple.

Disparu ce joli temps de mes matins tranquilles avec Lui pour lire Sa parole.

Disparue la prière qui prenait son temps et trouvait ses mots à la fin de mes journées.

Disparue l’église ouverte toute proche pour mes pas si j’ai envie sans jamais embêter personne.

Disparue la messe.

Bien sûr oui bien sûr que je pourrai me renseigner et trouver l’heure et l’endroit exactement et y aller mais il y a ce train à prendre tous ensemble et cette visite à ne pas manquer et cette journée qu’on a pris le temps de planifier en famille et leurs rires toujours à entourer dans chacune de mes heures. Oh… ils Te font une place eux aussi, à leur manière, mais pas tout à fait comme moi. Ces derniers jours, dans l’emploi de mon temps d’ailleurs, ils étaient écrits avant Toi. Une grosse semaine à l’étranger et Tu passes un peu après eux tous. Je les aime, Tu comprends ?
Evidemment, au fond de ma poche, je garde un petit carnet pour mes mots en prières mais j’ai l’impression que ça suffit à peine. Finalement, comme le sentiment d’être partie en vacances un peu sans Toi. Plus exactement sans Toi comme d’habitude.

À moins que ce soit quelque chose d’un peu différent.
Tu es ailleurs.
Autrement.
Loin de mes habitudes qui parfois me ferment les yeux.
Loin de mon quotidien qui me rassure mais m’enferme souvent.

Tu es là, dans tous les sourires partagés, dans les regards que je pose au gré des rues et sur les visages inconnus, dans mes pas sur des chemins jamais empruntés encore, dans ce tableau niché au creux d’une visite et qui me redit tant, dans cette heure arrivée sans calcul dans une cathédrale et y attraper par hasard un bout de messe dans une langue inconnue.
Tu es là au milieu de tant de visages et de paysages que je ne connais pas.

Peut-être bien que c’est Toi, Dieu de mon quotidien, qui T’es mis en petite pause de moi cette fois.
Peut-être bien qu’ainsi je regarde mieux, vraiment.

Autrement et ailleurs.
Peut-être bien que, Toi aussi, dans cet étranger, je Te découvre.
Et c’est étrange comme je finis par l’aimer cette étrangeté.  🙂

Au détour de la maison de Rubens à Anvers, Moïse ne me montre pas ses tables de la Loi mais le visage de son épouse par dessus son épaule.  🙂